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pour nous. Reprenons notre promenade et menons-la un peu plus vite.

La civilisation a fait un pas dans les deux salles qui suivent : nous sommes à l’époque des monumens mégalithiques. Les grandes pierres dressées sur le sol ou posées les unes sur les autres, qu’on appelle dolmens, cromlechs, menhirs, etc., ont de bonne heure éveillé la curiosité publique. On les croyait liées au culte des druides, qu’on ne connaît guère, et auquel on est tenté de rapporter tout ce qu’on trouve de mystérieux sur le sol de la Gaule. On les appelait pierres druidiques et on les regardait comme des sanctuaires ou des autels où s’accomplissaient les actes de cette religion obscure. Aujourd’hui, tous les archéologues savent que, si quelques-uns de ces monumens, comme les allées de Carnac, étaient ce que les Bretons appellent des pierres de souvenir, destinées à rappeler la mémoire de quelque grand événement, le plus grand nombre servaient de tombeaux. Presque partout, quand on a fouillé les dolmens, on a trouvé des corps accroupis ou étendus, et autour d’eux ou dans le voisinage, des armes, des ossemens, des poteries grossières. Le musée de Saint-Germain possède un dolmen entier, qui mesure près de 12 mètres de longueur sur une largeur moyenne de 2 mètres. Il a été découvert en 1872, près du confluent de la Seine et de l’Oise. On l’a fait habilement restaurer et il est placé dans les fossés du château. Les salles contiennent des réductions de quelques autres de ces monumens au vingtième, et l’on peut voir dans les vitrines les principaux objets qu’on y a trouvés.

Les dolmens laissent deviner en quel état vivaient ceux qui les ont construits. Ils formaient déjà une société régulière et organisée, où l’autorité devait être fortement établie. Il s’y trouvait sans doute des chefs puissans et respectés, des sujets ou des esclaves obéissans. Que de temps et de peine ont été dépensés, que de gens travaillèrent à dresser ces blocs énormes avec des engins grossiers, à les couvrir d’autres pierres de même dimension, à les enterrer sous la terre amoncelée ! Des funérailles aussi coûteuses supposent que celui qui est le maître dispose de milliers de bras et que ses ordres ne souffrent pas de résistance. Comme il partageait probablement la croyance si générale chez les peuples primitifs que, même après la mort, la vie continue d’une manière obscure et imparfaite, qu’on peut éprouver quand on n’est plus les mêmes besoins que lorsqu’on existe et qu’il faut avoir le moyen de les satisfaire, il bâtissait sa tombe sur le modèle de sa maison pour y retrouver ses aises. Les Lapons, chez qui rien ne change, ont conservé des habitations construites à peu près sur le même plan que les dolmens. Elles possèdent invariablement ce long couloir qui les protège contre les visites