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inconscient, qui charmaient des ignorans, parurent ridicules à des gens qui pouvaient lire Platon et Aristote. Si le nom des druides subsiste encore obscurément après César, ils ne sont plus connus que comme des devins et des charlatans : on les assimile à tous ces diseurs de bonne aventure, à tous ces vendeurs de remèdes magiques dont fourmille alors le monde.

Dans tous les cas, nous ne devons pas tout à fait confondre les druides avec la religion dont ils étaient les ministres, et il serait inexact de prétendre que les coups qui les frappèrent étaient en réalité dirigés contre elle. On a remarqué qu’en général, dans les religions des peuples aryens, le crédit du prêtre est petit. Les dévots mêmes se passent aisément de son ministère ; chacun peut sans son intermédiaire s’adresser directement à ses dieux. C’est le père de famille qui prie pour les siens, c’est le premier magistrat qui sacrifie pour la cité. Il est probable que la religion gauloise, comme celles des nations de la même race, s’est longtemps développée sans subir aucune influence sacerdotale. Les druides n’étaient pas originaires de la Gaule ; César dit qu’ils vinrent de la Grande-Bretagne. Il est vrai qu’une fois établis chez nous, ils prirent vite une grande importance. La façon dont ils y sont parvenus est curieuse à étudier. Ils s’emparèrent de l’éducation de la jeunesse, ils se firent exempter du service militaire et de l’impôt. Comme ils étaient les plus intelligent et les plus instruits, ils finirent par imposer leur arbitrage dans tous les différends publics ou privés. Contre ceux qui refusaient de se soumettre à leurs décisions, ils n’avaient qu’une arme, mais terrible : l’excommunication, qui produisait précisément les mêmes effets et inspirait les mêmes terreurs qu’au moyen âge. Enfin, quoique unis à l’aristocratie et partageant le pouvoir avec elle, ils ne négligèrent pas d’exercer leur action sur le peuple. Ils le dominaient par ses faiblesses, en flattant ses instincts superstitieux, et lui donnaient le spectacle de ces sacrifices sanglans, de ces grands auto-da-fé qui passionnent toujours la dévotion populaire. Ces moyens étaient assurément fort habiles, car nous voyons que d’autres corporations religieuses les ont plus tard employés avec le même succès.

On comprend que la puissance à laquelle les druides étaient arrivés ait pu les rendre suspects aux Romains ; quant à la religion gauloise elle-même, ils n’avaient aucune raison de lui être contraires. Elle était issue de la même origine que celle des autres peuples aryens, et, pour le fond des croyances, elle leur ressemblait. C’est ce que les Romains aperçurent du premier coup. « Les Gaulois, dit César, adorent principalement Mercure, puis Apollon, Mars, Jupiter, Minerve, et ils se font de ces dieux à peu près la même