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exciter chez nous une sympathie réciproque. Une attitude légèrement courbée, surtout la flexion du cou, le laisser-aller des bras, indique de plus la mélancolie et la tristesse, qui semble faire appel à la pitié d’autrui ; elle excitera donc un sentiment voisin de la pitié, qui se retrouve jusque dans notre faible pour le saule pleureur. Enfin la grâce est toujours de l’abandon ; or on ne s’abandonne pleinement que quand on aime ; nous pouvons donc dire avec Schelling que la grâce est avant tout l’expression de l’amour, et c’est pour cela qu’elle l’excite ; la grâce semble aimer et c’est pour cela qu’on l’aime. Avant d’avoir ressenti quelque chose de l’amour, la jeune fille n’a point encore la suprême grâce, plus belle encore que la beauté. Elle peut avoir, comme l’enfant, la grâce de la joie, elle n’a pas encore celle de la tendresse.

Dans l’expansion impliquée par la grâce, on pourrait montrer aussi un nouveau sentiment qui s’associe souvent aux autres, et qu’on n’a jamais bien distingué, croyons-nous. Pour le découvrir, imaginons ce que peut ressentir l’oiseau ouvrant ses ailes et glissant comme un trait dans l’air ; rappelons-nous ce que nous avons éprouvé nous-mêmes en nous sentant emportés sur un cheval au galop, sur une barque qui s’enfonce au creux des vagues, ou encore dans le tourbillon d’une valse : tous ces mouvemens évoquent en nous je ne sais quelle idée d’infini, de désir sans mesure, de vie surabondante et folle, je ne sais quel dédain de l’individualité, quel besoin de se sentir aller sans se retenir, de se perdre dans le tout ; et ces idées vagues entrent comme élément essentiel dans l’impression que nous causent une foule de mouvemens. L’Adam de Michel-Ange, qui s’éveille à la vie, allonge son bras démesurément en regardant devant lui, et ce seul geste traduit sous une forme visible toute l’infinité du monde qu’il aperçoit pour la première fois. Dans l’Assomption du Titien, le simple renversement de la tête et les yeux agrandis suffisent pour exprimer l’attraction immense du ciel ouvert. Ici la grâce proprement dite se fond avec l’émotion du sublime. Nous voyons des mouvemens qui, physiologiquement, exprimaient la vie bien équilibrée et facile, devenir par l’association des sentimens l’expression de la vie morale la plus haute et. la plus pleine, conséquemment de la plus grande beauté. En général, tandis que la force représente dans l’expression de la vie le côté viril, la grâce représente plutôt le côté féminin. Si donc la beauté suprême dans les mouvemens est celle qui traduit la vie la plus riche, on peut dire qu’elle consisterait à allier la force et la grâce, en leur faisant exprimer tout ensemble la volonté la plus énergique et la plus douce. Cette volonté, remarquons-le, n’est pas seulement celle qui se joue à la surface des choses, mais celle qui, prenant au sérieux et les