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imprimer dans le roc le plus dur le vestige de ses pieds, même à travers une couche de terre. Saint Jérôme et plusieurs saints personnages y ont cru. Il ne nous est donc pas difficile, à la suite de tels hommes, d’ajouter foi à la vérité de ces empreintes et de les visiter avec une pieuse vénération. » On ne saurait mieux raisonner, et il n’y a rien à rétorquer à de pareils argumens ! Non loin du lieu de l’Ascension s’élève un couvent de carmélites et un élégant petit monument bâti sur le modèle du Campo Santo de Pise : c’est ce qui nous rappelle le Pater, sous prétexte que c’est le lieu où Jésus a enseigné à ses disciples la prière chrétienne. Les constructions actuelles sont l’œuvre de la princesse de La Tour d’Auvergne, une femme pleine de hardiesse et d’initiative, mais à laquelle la modestie me semble avoir manqué. Dans l’intérieur même du cloître du Pater, elle a élevé en effet le tombeau de son père avec toute sorte d’inscriptions peu flatteuses pour la démocratie, — qu’on ne s’attendait guère à voir injurier sur le mont Sion, — et son propre tombeau. Ce dernier se compose d’une statue de marbre couchée sur un sarcophage. Un très mauvais plaisant lui a enlevé le bout du nez d’un coup de pierre. Cette mutilation est d’autant plus inexplicable que Mme de La Tour d’Auvergne avait eu soin de faire placer au-dessus de sa statue une plaque de marbre racontant tout ce qu’elle a fait pour le service céleste et se terminant par ses mots : « Que Dieu la comble de toutes ses bénédictions ! » Hélas ! cette invocation dépourvue d’humilité n’a même pas préservé le tombeau futur de Mme de La Tour d’Auvergne des mutilations d’un sacrilège inconnu. Le long des murs du monument du Pater, on peut lire l’Oraison dominicale traduite dans toutes les langues et gravée avec toutes les écritures, comme pour indiquer que la prière qui a été prononcée pour la première fois à cette place s’élève aujourd’hui de tous les points du globe, et que partout où il y a des hommes, le nom du Père qui est aux cieux est murmuré avec confiance et avec amour.

Parmi les promenades que j’ai faites autour de Jérusalem, celle de Saint-Jean dans la montagne m’a laissé peut-être le meilleur souvenir. Il ne faut pas songer à l’entreprendre à cheval, car les chemins sont beaucoup trop mauvais ; la seule monture avec laquelle on puisse se hasarder sans péril au milieu des rochers invraisemblables qu’on doit traverser est l’âne, l’excellent âne de Syrie, dont le pied ne bronche pas au milieu des pierres et dans les sentiers les plus abrupts. L’âne de Syrie est bien loin d’avoir l’allure dégagée, le gracieux port de tête, l’élégance, l’ardeur et la souplesse de l’âne de l’Égypte ; mais, si lourd qu’il soit d’apparence, c’est une admirable petite bête, d’une solidité à toute épreuve, sur laquelle on peut s’aventurer partout avec confiance. Au premier abord, je ne lui