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— C’est possible... Je vous supplie de ne pas contredire votre père comme vous le faites, Wilfred. Cela le mécontente et n’en vaut pas la peine...

— Désolé de le mécontenter ; mais je ne saurais renoncer à défendre la cause du peuple parce que mon père lui est hostile. Un jour ou l’autre, il comprendra que la vraie sagesse est de leur laisser plus de liberté, — liberté de conscience, liberté d’action, — de leur rendre la main, en un mot, pour qu’ils ne s’emportent pas à la fin, comme ils l’ont fait en France.

— Oh ! en France, c’est tout différent. Des catholiques romains, un clergé...

— Le clergé ici, comme ailleurs, favorise les dévots. Quand un pauvre homme sait que sa famille n’aura ni charbon de terre, ni couvertures à Noël, s’il ne croit pas tout ce que lui dit son pasteur, que voulez-vous que devienne la liberté de conscience ? Un brusque tournant de la route les mit en face de lord Athelstone au moment où Wilfred lançait cette question audacieuse. Sa mère, inquiète et scandalisée, se sentit tout heureuse d’être dispensée de répondre. Décidément il allait un peu loin, un peu vite. Où s’ arrêterait-il, grand Dieu ?


IV.

tin an après cette visite de lady Athelstone à la veuve Dawson, les négociations pendantes entre celle-ci et son beau-frère Joshua aboutirent à un compromis. Mme ' Dawson ne pouvait se résigner à quitter le lieu où elle avait vécu depuis son mariage, où son John était mort, mais elle consentait à se séparer provisoirement de Nellie, qui serait mise en pension à Warmington, sous les auspices de l’oncle Joshua. M. Joshua Dawson était un riche commerçant, lequel, ayant commencé sans un sou, se piquait de ne devoir rien à personne ; son infatigable industrie avait tout fait. Il contribuait largement aux charités publiques, et, content de lui-même, tenait à ce que chacun le sût. En cette circonstance encore, il prétendit donner le bon exemple : tout Warmington admira sa générosité. En somme, ce temps d’exil n’eut rien de pénible pour Nellie ; elle méritait régulièrement de bonnes notes dont l’oncle Joshua tirait vanité à sa manière ; il disait avec une satisfaction profonde : — Ma nièce a tous les prix... C’est une élève qui promet beaucoup,.. et la meilleure conduite en outre... Elle me doit tout cela. En réalité, la jeune fille ne possédait pas de facultés transcendantes, mais elle avait une heureuse mémoire, le désir d’arriver, et son amour pour les livres n’avait fait que grandir avec elle ; elle adorait