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surtout la poésie, les œuvres d’imagination ; le premier cadeau de Wilfred avait produit ce résultat.

— Elle est trop douce et beaucoup trop jolie pour réussir comme professeur, disait la directrice du pensionnat ; jamais elle ne saura tenir en bride une classe d’enfans indisciplinés. Que ferons-nous d’elle ? Sa tête est bourrée de fatras sentimental ; la fermeté manque tout à fait. Elle sera, la pauvre fille, à la merci du premier venu qu’elle aimera !

L’avenir devait prouver le peu de valeur de ce jugement : il est difficile de se prononcer sur le caractère des très jeunes personnes, de décider, quand le verger est en pleine floraison, quels boutons doivent être anéantis par la gelée, quels autres ont chance de produire des fruits.

Chaque année, Nellie passait chez sa mère un mois de vacances ; mais il n’arriva que deux fois dans le cours de quatre ans que le jeune héros de son enfance se trouvât à Athelstone, tandis qu’elle-même était à Ripple ; encore ne fut-ce que pour peu de jours. Il voyageait à l’étranger avec un précepteur, ou bien il était à Londres. Le congé de Noël attirait à son tour Mme Dawson chez l’oncle Joshua. Durant sa dernière visite, les assiduités du fils de la maison, Sam, un godelureau de dix-neuf ans, taillé en athlète, lui donnèrent fort à réfléchir. Il s’ingéniait à organiser des promenades en tête-à-tête avec sa cousine, l’attirait dans les coins pour lui parler tout bas, la comblait de petits présens. En mère prudente, Mme Dawson résolut de ne plus souffrir qu’un tel état de choses se prolongeât. L’oncle Joshua, absolument aveugle, par la raison que sa nièce lui faisait toujours l’effet d’un enfant, voulait garder Nellie une année encore ; il ne fallait pas l’irriter, sans doute, mais, dans l’intervalle, un emploi convenable pouvait être offert à la jeune fille... Mme Dawson eut recours à lady Athelstone, qui, appréciant ses motifs, appuya la candidature de Nellie pour la place de sous-maîtresse à l’école de Warley.

Quinze livres sterling d’appointemens ! c’était misérable, au dire de l’oncle Joshua, qui fit observer assez judicieusement qu’après tout ce qu’il avait dépensé pour son instruction, elle pourrait, moyennant un an ou deux d’efforts, gagner le double ailleurs. Que ferait-elle à Warley de son français et de son piano ? C’était absurde. Mais Mme Dawson s’entêta doucement et, dès le dimanche de la Trinité, Nellie entra en fonctions.

Elle se sentit un peu intimidée lorsqu’il lui fallut pénétrer dans l’église avec une armée d’enfans auxquels, par sa dignité, son attitude sévère, elle était tenue d’imposer. Une fois assise, elle regarda autour d’elle ; personne ne paraissait l’observer, sauf sa mère, dont