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souhaité de l’avoir pour fille,.. on faisait mine de ne pas le comprendre.

Cependant, après avoir longtemps refusé de renouveler avec lui leurs anciennes promenades en tête-à-tête, Nellie finit par consentir à faire un tour sur la lisière des bois d’Athelstone, afin de ne pas paraître y mettre d’affectation.

Il va sans dire que Sam profita de la circonstance. Il peignait les délices de l’existence qu’il pouvait se promettre avec la compagne de son choix dans une arrière-boutique à Warmington, Nellie voyait avec ennui poindre l’aveu dont l’avait menacée sa mère, quand une porte qui perçait le mur du parc s’ouvrit, et Wilfred apparut. La jeune fille fut saisie au point de se cramponner à la main qu’il lui tendait comme à un point d’appui. En même temps, les deux hommes échangèrent un regard, très calme de la part de Wilfred, agressif de la part de Sam. Entre eux, le contraste était curieux ; l’un avait à ne s’y pas tromper l’air d’un gentleman, sous sa méchante veste de chasse ; l’autre, en dépit de ses habits tout neufs, de ses gants de peau rougeâtres et de la façon qu’il avait de ne pas perdre un pouce de sa jurande taille, n’était, non moins évidemment, qu’un courtaud de boutique.

— Comment va votre mère ? dit Wilfred à Nellie en tenant toujours sa main et en toisant Sam de la tête aux pieds. J’allais chez vous ;.. je ne suis arrivé qu’aujourd’hui.

— Ma mère va bien, répondit-elle faiblement.

— Et qui est ce… monsieur ?

— Le fils de mon oncle Joshua, qui est venu de Warmington pour… pour nous voir.

— De Warmington ? C’est bien loin d’ici, répliqua Wilfred s’adressant à Sam, mais sans l’ombre d’un sourire sur ses lèvres dédaigneuses. Et vous comptez rester longtemps, monsieur ?

— Aussi longtemps qu’il me plaira. Je n’ai pas pris de billet de retour, répondit Sam en dardant sur l’étranger un coup d’œil féroce.

— Vraiment ? Eh bien ! je ne veux pas interrompre votre promenade, Nelle. J’espère que vous y trouverez beaucoup de plaisir ; mais ma mère désire vous voir demain matin ; pourrez-vous venir avant onze heures, ou bien êtes-vous trop occupée de votre cousin pour en trouver le temps ?

Nellie était si confuse et si désolée qu’elle ne put que balbutier :

— Je suis, bien entendu, aux ordres de mylady.

Et Wilfred passa avec un signe de tête. Quand il eut disparu, la rage de Sam Dawson fit explosion :

— Vous avez parlé de mylady ; ainsi c’est là mylord, je suppose ? A-t-on l’idée d’une impudence pareille ?.. Me dévisager comme il