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Wilfred alla voir la veuve Dawson pour entendre parler d’elle, et il apprit que Nellie était parfaitement heureuse chez Mme Goldwin. Cette assurance ne parut lui procurer qu’une médiocre satisfaction ; il interrompit l’interrogatoire commencé, en annonçant à Mme Dawson qu’il avait résolu de contribuer à son bien-être en la déchargeant d’un loyer peu considérable, mais lourd pour elle cependant. Sa vie durant, le cottage lui appartiendrait ; des mesures allaient être prises à cet effet.

Comme elle se confondait en remercîmens : — Dites à Nellie que j’ai été heureux de faire cela pour vous et à cause d’elle, ajouta-t-il avant de prendre congé.

Mme Dawson écrivit le fait à sa fille brièvement et sans y joindre le message du jeune lord.

Elle était trop sage pour ranimer au souffle de la reconnaissance un sentiment dont elle avait fini par se douter l’année précédente, alors que Nellie, dans son désespoir du brusque départ sans adieu de celui qu’elle adorait était tombée gravement malade. Quelques paroles, échappées pendant une nuit de souffrance à la pauvre abandonnée l’avaient trahie. Mme Dawson, sans en demander davantage, s’était appliquée à la consoler d’abord, à la raisonner ensuite, et peu à peu l’affectueuse fermeté de la mère semblait avoir triomphé des rêves de l’enfant : celle-ci était redevenue, en apparence du moins, maîtresse d’elle-même ; elle avait quitté le pays, bien pâle, bien faible encore, mais victorieuse dans sa lutte contre le premier chagrin. Mme Goldwin s’était attendue certainement à trouver plus de gaîté chez une personne de dix-sept ans. Elle fut étonnée d’abord de ce calme plein de mélancolie qui s’alliait à une stricte observance du devoir, puis elle en fut touchée, car sa perspicacité féminine eut bien vite démêlé quelque douleur secrète au fond d’une si jeune âme, et le désir généreux lui vint de la guérir. Elle lui témoigna donc une touchante bonté ; autour d’elle chacun disait qu’elle gâtait la jeune gouvernante, qui, traitée en égale, était toujours auprès d’elle, dans son salon, dans sa voiture, à lire, à causer ; mais Mme Goldwin ne se laissa pas détourner par les propos du voisinage de cette bonne œuvre qui était du reste une distraction pour elle au milieu de la monotonie d’un long séjour à la campagne.

L’esprit de Nellie se développa singulièrement, grâce à la société de cette femme distinguée, en même temps que son cœur se réchauffait sous l’impression d’une sincère bienveillance manifestée à tout propos. Jamais une question indiscrète sur son passé ; Nellie, du reste, serait morte plutôt que de se confesser à qui que ce fût. Elle priait matin et soir pour Wilfred ; voilà tout.