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fait pour agir, pour vivre, pour se rendre utile dans la société de ses semblables, pour travailler ; Fénelon, de l’homme intérieur.

Oui ! quel sujet ! M. Guerrier a raison de le dire ? Mais, en revanche, quel dommage qu’il l’ait manqué ! Car il l’a manqué. Non pas qu’il n’y ait dans son livre des renseignemens curieux, ou même quelques pages vraiment intéressantes, mais elles y sont ce qu’on appelle noyées, noyées dans l’abondance des citations inutiles, et encore plus noyées, s’il se peut, dans le fatras mystique de Mme Guyon. N’est-ce pas une plaisanterie que de nous analyser en plus de vingt pages le Moyen court de faire oraison et le livre des Torrens spirituels ? M. Guerrier n’a pas assez vu ce que nous avons essayé de montrer tout à l’heure, que son illuminée ne nous intéresse qu’autant qu’elle a mis Bossuet et Fénelon aux prises. Car ôtez Bossuet, ôtez Fénelon : que reste-t-il ? Une visionnaire comme il y en a, non pas une, mais dix, mais vingt, mais cent dans l’histoire des exagérations mystiques, à qui les destins n’auraient peut-être même pas fait la fortune de Marie Alacoque, la religieuse de Paray-le-Monial, et dont je ne sais seulement si les ouvrages auraient été jugés dignes de la moindre mention dans la littérature de l’ascétisme. En effet, je ne vois pas ce qu’ils contiennent qui ne doive se retrouver un peu partout chez les mystiques. Et ni l’analyse des Torrens spirituels que M. Guerrier nous donne, ni la lecture du Moyen court que je viens de faire ne m’ont ouvert les yeux. Il eût amplement suffi de réduire à quelques principes toute la doctrine de Mme Guyon, et grâce à Bossuet, grâce à Fénelon, c’eût été l’affaire de trois ou quatre pages.

Nous n’avons pas l’intention de nous attarder à relever dans le livre de M. Guerrier quelques fautes légères que l’humaine faiblesse laisse toujours échapper, — et même dans des livres beaucoup mieux faits que le sien. Les erreurs, pour graves qu’elles soient, ne valent vraiment la peine d’être signalées qu’autant qu’elles trahissent le vice de la méthode et l’insuffisance de la critique. Si donc un auteur met quelque part une note pour nous apprendre que le treizième livre de la Défense de la tradition et des saints pères n’a jamais été publié, mais que le manuscrit est à la bibliothèque du séminaire de Meaux, il n’y a là rien qu’inadvertance. Le treizième livre de la Défense de la tradition et des saints pères est publié depuis dix-neuf ans ; M. Guerrier pouvait le lire au tome IV du Bossuet de M. Lachat ; à moins encore qu’il n’aimât mieux consulter l’une des trois ou quatre éditions qui se sont succédé depuis 1862 : on peut ne pas avoir tout lu. Ce qui m’inquiète seulement, c’est quand je vois l’école historique nouvelle si familière avec les manuscrits, mais si fort brouillée avec les imprimés. Cette petite note me rappelle aussitôt l’aventure d’un autre érudit, qui, l’an dernier, 1880, a publié le Mémoire donné à Bossuet par Mme de Motteville pour servir