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manifester aucun déplaisir ? » S’il a une preuve, qu’il la donne ; un témoignage, qu’il le cite ; une présomption, qu’il l’articule ; mais sinon, qu’est-ce que cette insinuation veut dire ? Il fait cette remarque ailleurs que Bossuet, « tout opposé qu’il est, en certains points, à la doctrine du Moyen court, ne peut s’empêcher de dire que c’est un livre séduisant, répandu par tout le royaume et au-delà. » Vous l’entendez bien. C’est comme vous diriez un éloge tempéré, mais un éloge du Moyen court arraché par la force de la vérité à la prévention de Bossuet. Seulement c’est la prévention de M. Guerrier qui l’aveugle sur le sens de la qualification dont use ici Bossuet. Les mots — séduire, séduisant, séduction — ne se sont pour ainsi dire purgés de ce qu’ils enfermaient d’infamant qu’au commencement du XVIIIe siècle.

C’est peu de me quitter, tu veux donc me séduire ?


dit Pauline à Polyeucte ; me séduire, c’est-à-dire, seducere, me détourner de mes dieux, de mon devoir, de mon père. Il y a là, dans l’histoire d’un seul mot, toute une petite révolution des mœurs, en raccourci. Au XVIIe siècle, séduire quelqu’un, c’était encore, dans le bon sens, du mot, œuvre impie, criminelle, condamnable ; au XVIIIe siècle, c’était œuvre d’adresse, d’habileté, de ruse, mais de ruse déjà pardonnable : cependant l’idée d’artifice était encore impliquée dans le sens ordinaire du mot ; au XIXe siècle, enfin, c’est tout simplement faire œuvre de mérite personnel, c’est n’avoir qu’à se montrer pour vaincre, c’est réussir à triompher des obstacles ou des préventions par des qualités si certaines que dire d’un homme du monde, ou même d’un livre qu’il est séduisant, c’est en avoir fait l’éloge aujourd’hui le plus envié. Mais Bossuet le prenait autrement. Et quand il écrivait que le Moyen court était un livre séduisant, il voulait dire que c’était un livre dangereux, dont on ne pouvait trop se défier, et non pas qu’il eût en lui-même aucune qualité, mais parce qu’il était infecté de quiétisme, et conséquemment d’immoralité.

Voici qu’on trouvera plus grave.

M. Guerrier cite quelque part un passage de la Relation sur le quiétisme, où Bossuet s’exprime en ces termes : « Reconnaître une erreur, ce n’est pas là se diffamer, c’est s’honorer, au contraire, et réparer sa réputation blessée. Était-ce un si grand malheur d’avoir été trompé par une amie ? » Et de mettre la note suivante : « Ce mot est perfidement souligné dans l’édition originale. Il devait produire un fâcheux effet à Rome, où le mot correspondant amica est habituellement pris dans un mauvais sens. » Je n’accuserai pas l’historien de perfidie, mais bien d’une étrange légèreté. Rétablissons d’abord le passage dans son