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dispute, ce n’est pas sa modération, — il n’est pas modéré, — c’est sa froide, constante, imperturbable possession de soi-même. Il le déclare lui-même quelque part : « Mon cœur n’est point ému : » c’est bien dit, et c’est lui qui le dit. Aussi Bossuet peut-il de loin en loin s’emporter à quelque parole trop rude, et que pour l’honneur de sa charité chrétienne on voudrait pouvoir adoucir. Mais, au contraire, pour la plus grande gloire de l’art du persiflage, il n’y a rien de plus savamment, de plus galamment lancé que les impertinences de grand seigneur par où Fénelon répond aux violences de Bossuet, et l’on se surprend plus d’une fois à regretter qu’il n’y en ait pas encore davantage. « Quoique vous ayez l’esprit plus éclairé qu’un autre, lui écrit-il dès le début de la controverse, je prie Dieu qu’il vous ôte tout votre propre esprit pour ne vous laisser que le sien. » Peut-on plus joliment avertir le grand controversiste que toute sa science, et toute son éloquence, et toute son autorité ne feront rien contre l’inébranlable résolution de son adversaire ? Ou encore : « Je crus plus apprendre sur la pratique des voies intérieures en examinant avec Mme Guyon ses expériences, que je n’eusse pu faire en consultant des personnes fort savantes, mais sans expérience pour la pratique. » Peut-on piquer d’un air plus négligent et sans avoir l’air d’y toucher, mais piquer jusqu’au vil ? car il paraîtrait qu’un instant, manque « d’expériences, » Bossuet avait failli dans ses condamnations, impliquer les sainte Catherine et les sainte Thérèse, voire les Taulière et les Ruysbroeck. Je ne sais si les admirateurs de Fénelon goûteront cette manière de le louer.

Que ce sang-froid même ait étonné d’abord, puis irrité, puis exaspéré Bossuet, on le comprend sans peine. Il eut le tort de laisser trop voir. Il eut le tort aussi de rendre Mme Guyon, en quelque sorte, matériellement responsable de la longue résistance de Fénelon. Emprisonnée dès le mois de décembre 1695, avant même la publication du fameux livre des Maximes des saints, la malheureuse femme, plus obstinée que jamais dans sa doctrine, subissait les contre-coups de la querelle dont elle avait été la première occasion. Il est vrai qu’elle refusait de se rétracter. On dressait des déclarations, on lui soumettait des formulaires, elle signait, mais en signant, elle ajoutait : « Je dois néanmoins, devant Dieu et devant les hommes, ce témoignage à la vérité que je n’ai jamais prétendu insinuer, par aucune de ces expressions, aucune des erreurs qu’elles contiennent. » Et tout était à recommencer. On la transférait alors de Vincennes à Vaugirard, sous la direction du curé de Saint-Sulpice, M. de la Chétardie. Cependant on la soumettait à des interrogatoires. A Vincennes, c’était la Reynie ; c’était M. de Noailles à Vaugirard. On faisait sur sa vie d’autrefois, sur ses aventures, sur ses voyages, sur ses relations avec le P. La Combe, une minutieuse enquête sur chaque point nouveau de laquelle on venait l’attaquer de questions