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qui leur demanda un vase neuf rempli de sel. Lorsqu’ils l’eurent apporté, Elisée se plaça au bord de la source et y jeta le sel en disant : « J’ai purifié cette eau, et la mort et la stérilité ne sortiront plus d’elle. » C’est, en effet, depuis cette opération fort simple, une source de vie et de fécondité. Presque en face de la fontaine d’Elisée s’élève la montagne de la quarantaine, Djebel-Qorontoul, où Jésus, après avoir jeûné quarante jours, fut tenté par le démon. L’ascension en est difficile; j’avoue que, pour mon compte, je ne l’ai point tentée. Je tenais médiocrement à voir la grotte où Jésus serait resté plongé dans le jeûne et dans la pénitence. Le lieu de la tentation m’aurait séduit davantage, quoique les royaumes qu’on aperçoit de là ne soient guère remarquables et ne puissent plus exercer sur l’imagination le prestige qu’ils y exerçaient au temps de Jésus. Mais la chaleur était torride, encore que nous ne fussions qu’au 4 avril, et j’avais tant de chemin à faire que je ne voulais pas m’attarder en route. Un grand nombre d’anachorètes, imitant l’exemple de Jésus, ont habité la montagne de la quarantaine. Comme les rochers de Saint-Saba, elle est percée d’une multitude de grottes qui la font ressembler à une cité troglodyte ou à une nécropole égyptienne. Saint Antonin raconte que, dans une de ces nombreuses cavernes, vivaient sept vierges qui y avaient été amenées dès leur enfance ; chacune avait sa cellule séparée. Lorsqu’une d’elles mourait, sa cellule lui servait de tombeau, et l’on en creusait une nouvelle pour une autre vierge. Ainsi la vie et la mort étaient confondues sur la montagne sainte ; le ciel y touchait la terre ; l’espoir du royaume de Dieu décidait des vierges à renoncer à toutes les séductions de l’existence pour venir y attendre, à côté du tombeau de leurs compagnes, l’aurore de ce jour qui devait d’un moment à l’autre luire sur le monde et dont nous cherchons encore à l’horizon les signes précurseurs.

D’ordinaire on revient de Jéricho à Jérusalem, et l’excursion de la Mer-Morte se fait séparément; mais je voulais aller à Nazareth par la route la plus directe, et je refusai de retourner sur mes pas. Je me dirigeai donc en ligne droite vers Bethel, en gravissant les montagnes les plus abruptes, les sentiers les plus arides que j’aie rencontrés jusqu’ici. Mon drogman n’avait jamais eu l’occasion de suivre cette voie; il allait à l’aventure, uniquement guidé par son instinct. Dans un de ses romans, M. Octave Feuillet fait gravir un escalier de marbre par un cheval que les lecteurs parisiens ont trouvé légèrement fantastique. Les voyageurs en Palestine trouveraient, au contraire, qu’il ressemble à tous les chevaux et que ce qu’il fait n’a rien que de naturel. Les chevaux qui les portent en font bien d’autres ! Ce ne sont pas des escaliers de marbre qu’ils escaladent, ce