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des sanctuaires était alors non-seulement la pratique constante, mais la règle légale. Aussi les patriarches élevaient-ils des autels, dressaient-ils des pierres commémoratives, plantaient-ils des arbres, creusaient-ils des puits dans toutes les régions où ils habitaient, ne fût-ce qu’en passant. Et ce n’est pas au hasard qu’ils choisissaient l’emplacement de ces sanctuaires plus ou moins permanens. Dieu-lui-même désignait l’endroit où il voulait communiquer avec ses adorateurs. Abraham bâtit un autel à Sichem où Dieu lui était apparu. Quant à Jacob, on sait pourquoi il en construisit un à Bethel. « Il rêva d’une échelle dont le pied reposa sur le sol et dont le sommet atteignait le ciel ; sur elle montaient et descendaient les anges de Dieu. Il eut peur et dit : Que cet endroit est redoutable! c’est en vérité une résidence de Dieu, c’est la porte du ciel. » Combien de lieux jouissaient du même privilège ! Le ciel avait alors de nombreuses portes: on pouvait y pénétrer de tous côtés.

« Autant de villes, autant d’autels! » s’écrie avec douleur Jérémie. Cette exclamation n’aurait pas été comprise au temps, je ne dis pas des patriarches, mais même de Salomon. La suprématie absolue de Jérusalem n’est devenue un véritable dogme religieux qu’à la suite des réactions sacerdotales et des réformes monothéistes que provoqua le retour de la captivité de Babylone, La plupart des souvenirs du passé s’étaient affaiblis dans l’exil ; le sentiment national, vivement excité par de cruelles catastrophes, faisait naître un besoin d’unité qui n’avait pas été ressenti jusque-là. Les différences de caractère, de civilisation, d’art, de mythes, de physionomie intellectuelle et morale qui existaient entre les divers cantons de la Palestine avaient été effacées, ou du moins atténuées sous le joug étranger. Chacun comprenait la nécessité d’un centre religieux et politique où les espérances patriotiques pussent trouver un solide fondement. Jéhovah lui-même, fatigué des fêtes particulières qui resserraient les liens des corporations locales aux dépens de la cohésion de la patrie commune, réclamait par la voix de ses prophètes un culte unique qui ne fût plus une cérémonie de famille, une simple commémoration des souvenirs de la tribu, mais le sacrifice du peuple tout entier offrant des victimes en expiation des fautes dont il avait été si cruellement puni et dont le retour le menaçait des mêmes infortunes. Toutes ces circonstances favorisaient la prépondérance de Juda. Cependant il ne fut jamais possible de faire triompher complètement l’unité du culte. Une résistance d’abord faible, plus tard énergique, se forma au milieu des populations mélangées du pays de Samarie, populations qui, tout en adorant Jéhovah, avaient conservé les rites idolâtres des premiers âges et