Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la vue du fameux Pentateuque qui est, dit-on, l’œuvre d’Abischa, fils de Phinées, fils d’Eléazar, qui fut fils d’Aaron, ce qui le ferait remonter à quinze cents ans environ avant Jésus-Christ. Non content de cette haute et problématique antiquité, le Samaritain qui me montrait le Pentateuque m’a affirmé qu’il datait de trois mille quatre cent cinquante ans avant Jésus-Christ et la boîte qui le contient de onze mille ans. Le Pentateuque est écrit, on le sait, en caractères samaritains, sur une bande de parchemin longue de plusieurs mètres, disposée autour de deux baguettes en argent de telle façon qu’une partie s’enroule lorsque l’autre se déroule. La vénération dont les Samaritains l’entourent serait touchante s’ils n’en faisaient pas un objet de commerce en l’exhibant aux étrangers pour de l’argent. Ce qui m’a frappé beaucoup plus que le Pentateuque, c’est la beauté de l’espèce à laquelle appartient le sacristain qui me le montrait; la population juive de Palestine est si laide qu’on est reconnaissant aux Samaritains d’avoir conservé, outre leur vieux parchemin, la finesse et l’élégance primitives de leur race. Au lieu du teint blême et huileux de leurs compatriotes de Jérusalem et de Tibériade, ils ont une fermeté de carnation tout orientale; leur taille est élevée, leurs yeux noirs ont un éclat perçant, leurs mains sont longues et fines ; ils s’habillent avec goût et n’ont garde de porter les hideuses papillotes qui ajoutent au caractère répugnant de la figure des Juifs de Palestine. Je me rappelle qu’en sortant de la synagogue samaritaine, je fus suivi longtemps par une jeune fille de quinze ans environ qui m’offrait une rose que je n’acceptai, moyennant bakchich, qu’à la dernière extrémité, et lorsque je vis bien que la jeune fille allait s’en aller si je continuais à la refuser. Je me plaisais à prolonger le spectacle que m’offrait cette gracieuse enfant, aux yeux d’une profondeur admirable, aux cheveux d’un noir de jais, à la taille souple, vêtue d’un costume pittoresque qui laissait nues ses jambes nerveuses. Elle marchait en se balançant avec une nonchalance charmante, et le geste avec lequel elle me tendait sa fleur était à la fois d’une retenue et d’une hardiesse délicieuses. J’avais rencontré des Juives tellement horribles que la vue de cette jeune fille si différente m’a enchanté. Peu s’en est fallu que je me prononçasse contre le mont Sion et que j’allasse sacrifier sur le mont Garizim!

Malheureusement le mont Garizim n’est pas moins souillé que le mont Sion. Les Samaritains d’aujourd’hui ont presque complètement oublié les traditions de leurs pères; leur lente décrépitude morale est déshonorée par le charlatanisme et la fourberie, conséquences fatales d’un abaissement séculaire. De tous les hauts lieux où Jéhovah se manifestait jadis aux hommes, de toutes ces portes