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Discuter les effets de l’absence et du temps !.. non, l’amour vrai en est incapable... vous ne m’aimez pas, vous ne m’aimerez jamais!

Et dans sa colère il ne voyait point de grosses larmes gonfler la paupière de Sylvia ; il n’entendait pas trembler cette voix qui parlait de raison et de patience.

Quand miss Decker, qui s’était promenée de son côté avec le professeur Spooner, en essayant de tirer de cet homme distingué les matériaux nécessaires à son prochain article intitulé : Causeries avec un essayiste éminent, quand miss Decker les rejoignit, ils étaient debout sur le sable, Sylvia très pâle, Wilfred les lèvres serrées et occupé en silence à jeter des cailloux dans la mer. Une Américaine ne tire pas grande conséquence du tête-à-tête sous les ombrages d’un jeune homme et d’une jeune femme. Miss Decker, dont les talens d’observation étaient tout au service de ses propres intérêts, ne soupçonna donc rien ; il n’en fut pas de même pour Nellie, qui, en faisant jouer les enfans le long de la plage, n’avait perdu aucun des mouvemens de ces deux figures découpées sur le ciel bleu. Elle ne pouvait se faire illusion désormais. Wilfred, qui ne lui avait adressé que deux ou trois bonnes paroles, était absorbé corps et âme par miss Brabazon. La pauvre enfant considérait leur mariage comme chose faite ; il restait cependant plus problématique que jamais : Sylvia était romanesque, elle attendait trop de la vie ; l’amour qu’elle ressentait était un motif de plus pour qu’elle se tînt sur ses gardes. Sa propre volonté devait être ici l’obstacle au bonheur.

Le soir même, elle eut avec sa mère une brève conversation :

— Maniait, si nous allions passer quelques semaines à Naples? Mon oncle Giorgio vient d’y arriver, vous serez bien aise de le voir.

Milordo vient-il aussi, cara? demanda Mme Brabazon inquiète.

— Je ne crois pas...

— Et vraiment tu veux y aller?.. Tu es sûre?..

— Je suis sûre qu’il vaut mieux pour moi être absente de Rome jusqu’à Pâques.

Elle se pencha vers sa mère et l’embrassa. Mme Brabazon soupirait, mais elle n’osa discuter davantage une résolution qui, — elle connaissait sa fille, — devait être bien mûrie et tout à fait inébranlable. Il fut décidé que le départ pour Naples aurait lieu deux jours après. La consternation de leur coterie à cette nouvelle fut extrême et s’exhala en cris d’étonnement. Wilfred seul garda le silence; son orgueil était blessé trop profondément pour qu’il pût s’arrêter au projet de poursuivre Sylvia; elle s’était jouée de lui, pensa-t-il. Lorenzo fut seul à deviner ce qu’il souffrait. Le gamin, encore boiteux, descendit, en s’aidant d’un bâton, l’escalier d’Espagne pour