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défrayèrent les conversations; partout où se rendait le trio, — Mme Goldwin, miss Dawson et Saint-John, — visitant une villa, une galerie, une église, il se trouvait un groupe de jeunes gens pour suivre à distance, avec l’admiration sans déguisement que les Italiens considèrent comme un hommage naturel rendu au beau sous toutes ses formes. Mme Goldwin eut à repousser mainte prière de faire le buste, le portrait ou la photographie de la signorina: enfin le succès de Nellie s’établit de la façon la plus éclatante le jour où, sur certain billet qui invitait les petites Goldwin, — Tricksy et Flossy, — au bal d’enfans donné chez l’ambassadrice d’Angleterre, lut ajoutée une ligne concernant miss Dawson : on espérait qu’elle viendrait aussi.

La fête devait commencer et finir de très bonne heure. Tricksy et Flossy s’y préparèrent avec l’entrain du premier âge; malheureusement, la veille, leur mère prit froid et, délicate comme elle l’était, se vit dans l’impossibilité de les conduire, mais elle ne pouvait songer à désappointer les chères petites ; miss Dawson était là, spécialement invitée, un peu inquiète sans doute, car, comme ses élèves, elle allait dans le monde pour la première fois, mais rassurée par la pensée que personne ne ferait attention à elle. Tout son rôle se réduisait à surveiller les gambades de Tricksy et à empêcher que Flossy ne se donnât une indigestion. Elle ignorait, hélas ! que Mme Crosbie eût notifié à lord Athelstone qu’elle honorerait le bal de sa présence avec ses fils, comme la mère des Gracques avec ses bijoux... Il était invité, sans doute?.. Non?.. Oh! assurément, il connaissait assez l’ambassadrice pour savoir qu’il serait le bienvenu. Ne dansant jamais, il causerait avec elle, tandis qu’elle regarderait sauter les enfans. — Et lord Athelstone avait promis qu’il viendrait, mais il oublia sans doute pourquoi il était venu, lorsque, en entrant dans le salon, il aperçut miss Dawson toute seule dans un coin. En vain Mme Crosbie lui décocha-t-elle ses regards rêveurs de vierge primitive, il négligea complètement cette suave personne, ce qui fut, nous ne le nions pas, d’une odieuse impolitesse. Comme la dernière heure de cette courte soirée passa vite ! Nellie dut l’abréger cependant pour aller chercher Tricksy, qui dévorait à pleines mains un plumcake. Wilfred la suivit emportant dans ses bras Flossy, qui, peu habituée à veiller jusqu’à neuf heures et demie, devenait grognon par excès de fatigue.

La pluie tombait à verse quand ils descendirent dans la rue. La voiture de Mme Goldwin attendait, mais lord Athelstone n’avait pas demandé la sienne, et aucun fiacre n’était disponible.

— Ayez pitié de moi, donnez-moi une petite place, dit-il à Nellie.

Certes, elle aurait dû refuser; toute jeune personne bien élevée eût compris l’inconvenance de laisser un jeune homme s’asseoir en