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érudition qu’Alexis Monteil a gâché par sa détestable méthode, avait fait naître en moi cette idée ambitieuse qui ne tendait à rien moins qu’à raconter les persécutions dont le peuple hébreu a été la victime dans tous les temps et chez tous les peuples depuis l’an 70. Si à cela on ajoute un drame dont le marquis de Pombal eût été le héros, un roman historique sur Duguesclin et une histoire de Charles VI, évidemment inspirée par le souvenir de Capeluche, on aura ma confession générale. Flaubert et moi, nous nous encouragions sans contrainte, et, à chaque confidence, nous avions la bonne foi de nous écrier : « Ce sera superbe ! » Il fut décidé que nous nous quitterions le moins possible, et nous réglâmes notre mode de vivre. Je ne puis m’empêcher de sourire aujourd’hui de tant de naïveté et de l’ignorance avec laquelle nous limitions l’avenir ; nous étions si jeunes encore et si présomptueux que nous ne savions rien de l’âge, des forces et du développement de l’homme. Voici donc quels furent nos projets arrêtés d’un commun accord, sans discussion comme sans hésitation. Nous avions vingt et un ans : neuf années nous suffisaient pour tout apprendre ; à trente ans nous nous mettions à la besogne et nous commencions à publier nos œuvres. De même que neuf années nous avaient suffi pour tout apprendre, dix ans nous suffisaient pour tout produire. Cela nous menait à quarante ans ; à cet âge, l’homme est fini ; l’imagination est stérilisée, la puissance de conception est éteinte, le cerveau s’ossifie ; on peut se souvenir encore, mais il est impossible de créer ; c’est l’heure du repos, il faut dire adieu aux lettres. Mais l’oisiveté est lourde à porter, et l’on garde en soi un fonds de connaissances acquises qu’il est légitime d’utiliser. Nous résolûmes donc de nous retirer ensemble à la campagne lors de notre quarantième année et d’entreprendre un travail pour ainsi dire mécanique qui nous conduirait jusqu’au seuil de la vieillesse. Or ce travail était singulier ; c’est moi qui en avais eu l’idée, que Flaubert avait épousée avec ardeur. — En 1843, il n’était point question de langue aryenne, et les savans n’avaient pas encore glané les racines des langues primitives. Sans s’attacher au latin comme à une langue proprement étymologique, on y voyait du moins une sorte de langue mère dont l’influence était encore perceptible en Europe. Sous le titre prétentieux de : les Transmigrations du latin, nous voulions faire un dictionnaire qui eût indiqué les modifications que les vocables d’origine latine ont subies dans les différens pays où ils ont été adoptés. Ainsi le mot carum, qui signifie trou, creux, profond, dont nous avons fait cave, cabaret, devient gave aux Pyrénées, havre dans l’ouest de la France, avec la signification de port naturel, haven en Angleterre, hafen en Allemagne. Le mot via, chemin, conservé intact par l’italien, donne en français le mot voie avec