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novice qui les gardait et s’empressant de le dévorer. Sans cesse pourchassés par les insulaires, les matelots américains avaient encore perdu dans une rencontre deux d’entre eux. Le capitaine anglais gagne le détroit de Foveaux et jette l’ancre au havre Macquarie. Vers l’entrée, dans les broussailles, se cachait un village, les maisons se trouvaient désertes; sur tout le pays abondait le phormium, mais le bois manquait. Le capitaine disposait de deux machines destinées à séparer la partie fibreuse de la plante textile ; elles ne remplirent pas un bon office, et les insulaires s’amusaient beaucoup en voyant la mauvaise besogne qu’exécutaient les Européens.

En ce temps, personne n’allait à la Nouvelle-Zélande sans entendre quelques récits de scènes tragiques. Edwardson cite un îlot dans le détroit de Foveaux, devenu célèbre parmi les marins de la mer du Sud à cause du long séjour d’un Anglais[1]. Le pauvre hère, traqué par les sauvages, craignant sans cesse de devenir leur victime, se blottissait dans une caverne de l’ilot et vivait de coquillages. Les habitans de l’extrémité méridionale de la Nouvelle-Zélande ne semblaient pas différer des autres sous le rapport des mœurs, des habitudes, de la méfiance, de la dissimulation, de la cruauté[2].

Un nouveau voyage de découvertes dans la mer du Sud ayant été décidé, voyage conçu dans le double dessein de poursuivre des recherches scientifiques et de retrouver les traces de La Pérouse, on fut heureux dans le choix de l’homme appelé à conduire l’entreprise. Dumont d’Urville, qui a déjà fait le tour du monde sur la corvette la Coquille, commandera le même navire devenu l’Astrolabe en souvenir du bâtiment qui portait le digne marin dont on demande le sort depuis près de quarante années à tous les échos du Pacifique. Dumont d’Urville, né à Condé-sur-Noireau, le 23 mai 1790, aspirant de marine en 1810, enseigne en 1812, avait, en 1819, pris une part active à l’étude hydrographique de la partie orientale de la Méditerranée sur la Chevrette, que commandait le capitaine Gautier. Il avait le goût de toutes les sciences; il aimait et il cultivait la botanique et la zoologie, comme s’il avait eu le pressentiment qu’un jour ces sciences répandraient les plus vives clartés sur l’histoire de notre globe; il prenait un vif intérêt à l’étude des races humaines, s’efforçant de pénétrer l’idiome des peuples afin de découvrir des origines, des migrations, des relations entre les habitans de terres plus ou moins éloignées. Dans ses voyages à travers la Polynésie, il mit une sorte de passion à donner de la rigueur aux connaissances géographiques,

  1. Kakakow, un des îlots qui abritent l’Easy Harbour.
  2. Voyage du capitaine Edwardson à la côte méridionale de Towaï-Pounamou, du 6 novembre 1822 au 28 mars 1823, rédigé par Jules de Blosseville d’après le journal du capitaine. (Nouvelles Annales des voyages, t. XXIX.)