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II.

Pendant les années qui suivirent le retour de la paix, si parfois on pense aux découvertes, on songe davantage encore à l’utilité de montrer le pavillon protecteur du commerce français dans des parages où ses apparitions ont été trop rares. Selon la parole du ministre, baron d’Haussez[1], il convenait à nos officiers de marine de faire valoir sur les côtes de la Chine et de l’Inde la puissance française, comme y avaient réussi leurs ancêtres. Ainsi, pour une longue campagne autour du monde fut armée la corvette la Favorite, dont on donna le commandement au capitaine Laplace. La Favorite arrive à la baie des Iles le 4 octobre 1831. Le commandant relâche à la Nouvelle-Zélande dans le seul dessein de donner un peu de repos à son monde et de prendre de l’eau fraîche. Il n’a point l’intention de poursuivre une étude du pays, mais il notera des impressions, et pour notre histoire, elles ne sont pas indifférentes[2].

Après avoir doublé le cap Nord et passé devant l’étroite entrée de la baie de Wangaroa, la Favorite range de très près la côte. Chacun s’étonne alors de n’apercevoir aucune pirogue; tous les navigateurs ont répété que, dès l’apparition d’un bâtiment, affluaient les pirogues montées par des multitudes d’indigènes. On ne s’explique pas un tel silence ; on ne songe pas d’abord au grand changement qui s’est produit. Ces rivages, naguère si peuplés, sont aujourd’hui dépourvus d’habitans. La solitude s’est faite également sur les bords de la Tamise, à l’estuaire de Houraki, où il existait autrefois de nombreux villages.

La corvette mouille à l’embouchure de la rivière Kawa-Kawa, devant la bourgade de Kororarika, située en face de la mission de Pahia. Peu à peu, la population s’assemble sur la grève, les principaux personnages montent à bord, sollicitant de la poudre, des balles, du biscuit, et le commandant français ne peut se décider à reconnaître parmi ces mendians affublés de haillons sordides les nobles guerriers, les rangutiras dont les voyageurs ont esquissé des portraits. Le capitaine Laplace trouve que les missionnaires évangéliques, se proposant de civiliser les indigènes, n’ont pas atteint le but. Malgré un zèle incontestable, ils manquaient de désintéressement; s’étant approprié les meilleures terres, ils les faisaient défricher par de misérables esclaves qu’ils avaient convertis; les hommes de guerre, les fiers rangatiras, prenaient en dédain les

  1. 15 décembre 1829.
  2. Voyage autour du monde exécuté sur la corvette la Favorite pendant les années 1830, 1831, 1832; Paris, 1835.