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d’Anvers. Ce qu’il y a de piquant dans ces pourparlers, c’est que lord Palmerston en était informé en quelque sorte heure par heure. Il ne s’en inquiétait guère, à en juger par les lettres particulières qu’il adressait à lord Granville, son ambassadeur à Paris. En revanche, il ne se faisait pas faute de les caractériser sévèrement : « Quelle confiance, écrivait-il, pouvons-nous accorder à un gouvernement qui se jette dans une série d’intrigues, disant une chose dans un endroit et le contraire dans un autre, promettant par Bresson d’accepter et refusant par Talleyrand, changeant d’opinion, de déclarations et de principes à chaque perspective éphémère d’avantages temporaires ? » Lord Palmerston ne se méprenait pas davantage sur les doubles menées de la Prusse. « Je m’aperçois, écrivait-il encore, que Bulow a une envie terrible de la forteresse du Luxembourg avec un peu de territoire autour, non pas qu’il ait osé m’en parler, mais je le connais et vois au fond du puits. C’est ce qui explique l’accueil qu’à Berlin Werther a fait à l’idée de donner Philippeville et Marienbourg à la France. Nous repoussons tous ces grignotemens, ajoutait-il ; une fois que les grandes puissances commenceront à mordre au gâteau, elles ne seront pas satisfaites d’une bouchée, elles l’auront bientôt dévoré. »

Débouté de toutes ses demandes et irrité de l’obstination du ministre anglais, M. de Talleyrand s’appliqua à brouiller les cartes et à compromettre l’œuvre de la conférence. Il s’attaqua à la candidature du duc de Cobourg ; il dit à M. de Bulow que le duc Léopold était un pauvre sire, dépourvu des qualités nécessaires à un souverain, bon à être renvoyé à Claremont, que les Belges étaient un tas de lâches et de vagabonds indignes d’être indépendans, qu’on s’était fourré dans un guêpier, qu’il n’y avait décidément qu’une solution aux difficultés, c’était le partage, et que si la France et la Prusse voulaient s’entendre une bonne fois, l’affaire serait vite bâclée. Il alla jusqu’à lui parler d’une combinaison qu’avait poursuivie le roi Charles X en 1829[1] et que Napoléon III essaya un instant de

  1. « On a toujours prétendu qu’au moment où éclatait la révolution de juillet, le gouvernement de Charles X était sur le point de signer avec la Russie un traité qui nous aurait assuré les Provinces rhénanes. C’est une de ces erreurs comme il s’en accrédite et s’en perpétue parfois dans l’histoire. On négociait en effet avec la cour de Pétersbourg, mais sur des bases toutes différentes. On démembrait le royaume des Pays-Bas ; on transportait la maison d’Orange à Constantinople. On donnait à la Prusse la Saxe royale et la Hollande jusqu’au Rhin. Le roi de Saxe obtenait les Provinces rhénanes et la France se réservait la Belgique, le Brabant hollandais, le Luxembourg et Landau. Telles étaient les-instructions délibérées à la fin d’août 1829 dans le conseil du roi, et qu’on envoyait à M. de Mortemart, notre ambassadeur en Russie. La paix d’Andrinople et le refus du roi de Prusse qui voulait bien prendre la Saxe et la Hollande, mais qui ne se souciait pas de céder les Provinces rhénanes, ne permirent pas de donner suite à ces pourparlers. Ils furent repris toutefois au commencement de 1830. » (Viel-Castel, Histoire de la restauration.)