Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remettre au vin. » L’ambassadeur vénitien, Jean Correro, complète ce portrait : « Sa taille est plus haute que celle du roi, mais il n’a pas les jambes plus fortes ; son teint est meilleur, sa figure plus agréable. Il s’amuse à une chasse de palais et se tient volontiers parmi les dames. S’il en attaque une, il n’en démord pas de si tôt. » Son début dans la vie avait été brillant, et, comme le dit Marguerite de Valois dans ses Mémoires, « les lauriers de deux batailles gagnées ceignoient déjà son front. » Mais il se laissa bien vite amollir par la vie facile et oisive de la cour. Le Vénitien Jean Michiel écrivait : « Il s’est adonné aux voluptés, elles le dominent ; il se couvre d’odeurs et de parfums ; il porte à ses oreilles un double rang d’anneaux et de pendans ; il dépense des sommes folles pour ses chemises et ses vêtemens ; il charme et séduit les femmes en leur prodiguant les bijoux et les futilités les plus coûteuses. » Voilà bien Henri de Valois tel qu’il fut dans sa première jeunesse ; mais c’est une physionomie si étrange, une nature si curieuse à étudier et si insaisissable que nous ajouterons au jugement des Vénitiens ce qu’un grand seigneur de la cour de France écrivait de lui à Walsingham pour être mis sous les yeux de la reine Elisabeth : « Il a ce malheur, c’est que tous ses portraits ne sont pas à son avantage. Janet lui-même n’a pas rendu ce je ne sais quoi qu’il tient de la nature. Ses yeux, ce pli si gracieux de sa bouche quand il parle, cette douceur qui lui gagne ceux qui l’approchent, ne peuvent être reproduits ni par la plume, ni par le pinceau. Il a la main si belle que, faite au tour, elle ne seroit d’un modelé plus fini. Ne me demandez pas s’il a été aimé ; il a remporté des victoires partout où il a voulu attaquer, et il ignore la centième partie des conquêtes qu’il a faites. L’on a voulu vous faire croire qu’il a été instruit par des personnes qui penchoient du côté de la religion nouvelle et qu’il y avoit beaucoup d’apparence qu’il y pouvoit être porté. Détrompez-vous, Monsieur est né catholique ; il a vaincu en se déclarant protecteur du catholicisme. Croyez qu’il vivra et mourra dans cette religion. Je lui ai vu dans les mains les psaumes de Marot et d’autres livres de cette sorte, mais c’étoit pour plaire à une grande dame huguenote, dont il étoit extrêmement amoureux. Si la reine votre maîtresse ne se contente pas d’un si digne sujet, elle ne sera jamais mariée, elle n’a qu’à faire vœu à présent d’une perpétuelle virginité. »

À son arrivée à la cour, Walsingham fut interrogé de bien des côtés ; on voulait savoir s’il était ou non favorable au mariage du duc. Il éluda toutes les questions en répondant invariablement qu’il avait laissé derrière lui en Angleterre toutes ses opinions, bien résolu à suivre uniquement et à la lettre ses instructions. Si Dieu