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de l’Angleterre. — Ses enfans succéderaient aux biens paternels et maternels. — En cas de prédécès de la reine, il retiendrait le titre de roi et administrerait le royaume. — Si la reine ne laissait aucun enfant, il continuerait à toucher les 60,000 livres. — Enfin, entre les deux royaumes serait établie une perpétuelle ligue et union.

Dans la conférence qui suivit l’entretien de La Mothe avec Elisabeth, Cecil se montra intraitable : la reine ne pouvait rien autoriser qui put devenir la cause d’un scandale et de troubles dans le royaume. La Mothe répliqua que la reine venait de lui dire, tout au contraire, qu’elle n’estimerait pas le duc s’il renonçait à sa religion. Lui en refuser l’exercice, ce serait donner l’occasion de douter de tout le reste. Aussi mal engagé, ce premier entretien ne pouvait se prolonger. Les jours suivans La Mothe se rendit encore auprès de Cecil et de Leicester ; il revit la reine, mais sans pouvoir obtenir d’elle aucun adoucissement. Elisabeth et ses conseillers se flattaient que le duc finirait par se soumettre aux conditions qu’ils entendaient lui imposer. Cavalcanti avait remis à la reine une lettre du duc. La Mothe, pour la faire avancer un peu plus, la pria de vouloir bien y répondre : elle s’en défendit longtemps, « prétextant que la plume tomberoit de ses mains et qu’elle ne sauroit que lui dire, n’ayant jamais écrit à aucun des princes qui avoient prétendu à sa main, à l’exception de l’archiduc Charles, et en termes fort éloignés du mariage. » Elle céda pourtant et écrivit la lettre sollicitée par La Mothe. Il y avait en elle un singulier mélange de raison pratique et de naïve légèreté. Tout en discutant en homme d’état les côtés sérieux de son mariage, elle parlait volontiers de la beauté du duc d’Anjou, de sa main, une des plus belles de France. « D’ici à sept ou huit ans, il gagnera encore, disait-elle à La Mothe-Fénelon, et moi je serai bien vieille ; pour cette heure, j’espère ne pas trop lui être désagréable. » Et elle demandait à La Mothe si on avait parlé au duc de son pied, de son bras, et d’autres choses encore qu’elle ne nommait pas. Elle avoua tout bas qu’elle trouvait le duc très désirable. La Mothe répliqua, avec une pointe de raillerie gauloise, « que tous deux étoient très désirables et qu’à ses yeux leur seul défaut, c’étoit qu’ils ne se rendoient pas assez tôt possesseurs des perfections l’un de l’autre. » Mais elle était de nature si fantasque, si variable, que le lendemain La Mothe la trouva tout autre ; d’une voix sèche, elle lui dit qu’elle venait d’apprendre une étrange nouvelle : « Un homme haut placé à la cour de Charles IX avait dû dire, en nombreuse compagnie qu’elle avait un mal à la jambe dont elle ne guériroit jamais ; que ce serait là un excellent prétexte pour lui donner plus tard un breuvage