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de France et pour en débarrasser le duc, qui, veuf, pourroit épouser Marie Stuart et devenir maître de cette île. » La Mothe repoussa énergiquement cet indigne propos et lui demanda qui l’avait tenu, afin que Charles IX et Catherine pussent en faire la juste punition. — « Il n’est pas temps de le nommer, répondit-elle, mais informez-vous si le propos a été vraiment tenu, et je vous en dirai davantage. » Dans le premier moment de sa colère, elle ne parlait rien moins que d’envoyer Sidney en Espagne et de renouer ses relations avec Philippe II. Elle finit par se radoucir, mais le propos tenu lui resta longtemps sur le cœur. Lorsqu’elle revit La Mothe, elle lui dit qu’elle regrettait qu’il ne fût pas venu au bal donné par le marquis de Northampton ; il l’aurait vue danser et aurait pu assurer au duc qu’il n’était pas en danger d’épouser une boiteuse. Elle avait de grandes prétentions à la danse. Lorsque Melvil, l’ambassadeur de Marie Stuart, vint une première fois en mission en Angleterre, au moment de son retour en Écosse, elle l’avait prié de rester deux jours de plus pour assister à un bal et lui dire qui de Marie Stuart ou d’elle dansait le mieux.

Son jeu, pour le moment, c’était de se montrer beaucoup plus conciliante que ses conseillers. Chaque fois qu’elle revoyait La Mothe, elle se plaignait des exigences de sa situation ; elle lui faisait dire secrètement par Leicester qu’elle ne voulait imposer au duc rien de contraire à sa conscience ; elle fermerait les yeux, s’il voulait se contenter de l’exercice privé de sa religion. Ce qui la préoccupait, c’était de savoir comment se réglerait et se passerait la cérémonie du mariage ; elle était très superstitieuse et craignait que le duc, s’il trouvait quelque chose dans la cérémonie blessant sa conscience, ne la laissât là, et surtout que l’anneau du mariage ne tombât à terre. Toutes ces réserves tant de fois soumises à La Mothe montrent assez combien la mission de Cavalcanti avait été difficile et le peu d’espoir qu’il emportait d’une solution favorable.

C’est le 24 avril qu’il rentra à Paris. Le même jour, il remit à Walsingham les lettres d’Elisabeth. Après les avoir lues, Walsingham l’engagea à aller voir Catherine à Monceaux, ce qu’il fit ; mais Catherine ajourna tout entretien jusqu’à son retour très prochain à Paris. Elle quitta en effet Monceaux le 26 ; n’ayant eu ce jour-là aucune heure de liberté, elle fit dire à Walsingham de venir le lendemain matin à Saint-Cloud, où il se rendit. Sa première parole fût pour demander si elle était satisfaite de la réponse d’Elisabeth. Elle dit que cette réponse ne s’appliquait pas directement aux articles qui lui avaient été adressés, à l’exception toutefois de celui relatif à la religion, si dur et touchant de si près à l’honneur de son fils que, s’il s’y soumettait, la reine aurait sa part