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gouverner par des opinions préconçues. Devant le désir de faire prévaloir ce que l’on croit vrai, les objections s’amoindrissent, les obscurités se dérobent, les préjugés interviennent, parfois aussi les formules dont les mathématiciens font usage prêtent mal à propos leur rigueur apparente à des calculs auxquels des prémisses imprudemment admises enlèvent d’avance presque toute leur valeur. C’est ainsi que des hommes éminens ont été entraînés trop fréquemment à consacrer de grosses erreurs que les contemporains acceptent de confiance, en s’autorisant du nom de ceux qui les ont patronnées. La liste serait longue de ces théories accueillies au début avec faveur, que la génération suivante repousse en luttant d’abord pour les attaquer, en s’étonnant ensuite qu’elles aient pu régner si longtemps et trouver des partisans convaincus, alors que, vues de près, elles ne soutiennent guère l’examen. C’est à cette sorte de travail de Sisyphe que la science elle-même, il faut le dire, semble vouée pour longtemps, pour toujours peut-être. Effectivement, toutes les fois qu’une doctrine appuyée sur l’observation en remplace une autre, celle qui triomphe, en admettant même que son succès soit destiné à être durable, n’est exempte pour cela ni d’atteintes futures, ni de défaites possibles. Elle a beau contenir une plus large part de vérité que sa devancière, elle n’en garde pas moins des chances d’erreurs partielles. Plus tard, sans doute, les faits seront explorés de plus près, on en découvrira de nouveaux, et la signification de tous deviendra plus nette et plus précise ; la doctrine théorique devra donc se modifier; incessamment remaniée, elle se modèlera sur les découvertes successives, substituant de nouvelles vues plus fécondes et plus complètes aux données anciennes. C’est l’éternel « devenir » qui, dans le champ sans bornes de la nature, où lien ne l’arrête, ouvre à l’esprit de l’homme des perspectives infinies. — On ne sait réellement ce qui doit surprendre le plus, ou de l’instinct qui pousse l’homme à varier ses tentatives de recherches sans que les démentis qu’il se donne le découragent jamais, ou de l’immensité du but entrevu dont il se rapproche graduellement. L’instrument par lui-même est sans doute défectueux ou tout au moins médiocre, mais comme il n’en existe pas d’autre, plutôt que de renoncer à l’œuvre, l’ouvrier est bien tenu de s’en contenter. Il agit comme la fourmi qui traîne son fardeau malgré les obstacles ; elle devine pourtant que si beaucoup de ses compagnes et elle toute la première viennent à succomber, d’autres seront plus heureuses et toucheront finalement le point d’arrivée.

Ces réflexions sont à leur place au moment de jeter les yeux sur les temps quaternaires, c’est-à-dire sur ceux qui terminent la série entière des périodes géologiques et qui précèdent immédiatement