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dans la mesure même des transformations de la surface. Dans notre Europe particulièrement, qui vers le milieu des temps tertiaires était encore découpée d’un bout à l’autre par une mer intérieure, les vallées actuelles, au moins les principales déjà ébauchées, avaient représenté les fiords ou les bras de cette mer, ou bien avaient servi de cuvettes à d’anciens lacs. Tracées généralement sur le parcours ou dans la direction des lignes de fentes, elles ont dû revêtir peu à peu leur aspect actuel, après le retrait final de la méditerranée miocène. Alors seulement les cours d’eau se sont distribués de façon à gagner de tous côtés les pourtours du nouveau continent qui avait acquis à peu de chose près l’étendue et le relief que nous lui connaissons. Le massif des Alpes, en achevant de se prononcer lors du pliocène, constituait enfin l’ossature centrale de ce continent. Il en formait l’accident dominateur, comme l’Himalaya pour l’Asie. Le rapprochement est juste, puisque la disposition orographique est la même des deux parts, toutes proportions gardées ; l’altitude des deux chaînes se trouvant en rapport avec l’espace continental étendu à leur pied.

Ainsi, quand on va au fond des choses, ce rôle attribué si longtemps aux courans diluviens, comme s’il s’agissait d’un phénomène d’un ordre spécial, s’amoindrit et tend à reprendre son véritable sens. D’ailleurs où faudrait-il placer le point de départ de pareils courans sans toucher à la légende et sans faire abstraction des lois ordinaires de la physique qui président aux mouvemens des eaux? Tantôt ce sont des masses liquides parties des régions polaires qui auraient submergé le nord, striant les roches, entraînant les débris, balayant tous les obstacles, s’épanchant sur une immense étendue; c’était l’opinion de M. Durocher dans son mémoire sur les Phénomènes diluviens du nord de l’Europe[1] ; tantôt, c’est l’océan tout entier qui, refoulé subitement, aurait franchi ses limites et recouvert de ses vagues tous les continens.

On n’ignore pas que c’est à l’action de ces mêmes courans devenus glacés par un abaissement rapide de la température que l’ensevelissement des cadavres de mammouths et de rhinocéros dans le limon de la Lena a été souvent attribué, bien que toujours sans preuves. Si l’on accepte l’hypothèse de la destruction instantanée de ces animaux par le froid et l’inondation réunis, il faudrait, remarquons-le en passant, l’appliquer à d’autres squelettes de ces mêmes espèces souvent retirés entiers des tourbières, des lehms, des graviers de diverses parties de l’Europe. N’a-t-on pas reconstruit, avec tous leurs ossemens remis en place, des éléphans, les uns pliocènes,

  1. Ce mémoire, présenté à l’Académie des sciences, date de janvier 1842.