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contraires, il en paraissait incapable. Elle l’adorait aveuglément; ce fut au début sa grande faute : elle n’aurait jamais songé à critiquer, à discuter ses actes, ni même à émettre certaines pensées qui eussent donné à Wilfred la mesure de ce qu’elle valait. Intellectuellement, elle l’intéressait toujours de la même façon par son aptitude à s’instruire, mais de là vraiment à lui supposer un jugement personnel et original, d’autres qualités d’esprit que celles de l’assimilation et du reflet, il y avait loin!

L’attitude humble et soumise que gardait Nellie exaspérait lady Athelstone : « Si elle a eu assez d’esprit pour se faire épouser, pensait la douairière, pourquoi ne s’en sert-elle pas lorsqu’il s’agit de conseiller utilement son mari? »

Le départ pour Londres eut lieu du reste dès les premiers jours de février sans aucune opposition de la part de Wilfred. A vrai dire, il avait besoin de changement. Et dès lors tout commença d’être différent aussi dans la vie de Nellie, qu’une grossesse pénible rendait sédentaire. Elle voyait beaucoup moins son mari, dont les soirées se passaient souvent ou étaient supposées se passer à la chambre. S’il esquivait volontiers les réunions et les dîners politiques, il détestait moins certains cercles littéraires ou même un peu bohèmes, et Nellie ne jugeait pas à propos de contrarier ses goûts; peut-être eut-elle tort. Les espérances de maternité qui la consolaient furent déçues. Tant que l’on put croire Nellie en danger, Wilfred veilla jour et nuit à son chevet; puis, la convalescence venue, il reprit ses habitudes, écrivant chez lui le matin, recevant des gens de mauvaise mine qui se rattachaient à son parti politique, et ne causant guère avec sa femme en somme qu’à l’heure des repas.

C’en était fait de l’Arcadie pour la jeune lady Athelstone; elle se trouvait bien seule dans son grand hôtel de Whitehall Gardens, quoiqu’elle n’eut garde d’en convenir : tout n’allait-il pas pour le mieux? Le nom de lord Athelstone était cité comme celui d’un homme qui, s’il savait se modérer, aurait probablement sa place dans le prochain cabinet et y représenterait l’opposition. Son premier discours, destiné à prouver que la séparation de l’aristocratie et de la démocratie n’est pas aussi complète que le prétendent certains penseurs, avait été très remarqué. Sans décrier la classe à laquelle il appartenait, Wilfred croyait que sa puissance ne pouvait subsister qu’à la condition d’une plus haute culture intellectuelle, d’une sympathie plus large avec le peuple et de sacrifices généreux au bien public. Tout cela était assurément bien loin de ce qu’eût désiré lady Athelstone, mais valait mieux toutefois que le socialisme proprement dit.