Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était avant Mahomet II, de restaurer le temple d’Éphèse, les palais de Sardes ; mais avant tout, ce qu’il eût voulu voir et étudier, c’était Athènes, c’était l’Acropole, dont il parlait avec idolâtrie. Ce bonheur ne devait pas lui être refusé. Le ministre de l’instruction publique décida que les élèves architectes de troisième année iraient passer six mois à Athènes. Auguste Titeux était dans les conditions requises et, en 1845, il partit pour la Grèce. Il embrassa son rêve et en mourut. Après avoir rapidement visité Constantinople qui l’émerveilla, il vint s’établir à Athènes, et tout de suite, en homme expert, s’attaqua aux Propylées. Il fit ouvrir des tranchées afin de découvrir les substructions. Il habitait loin de l’Acropole, à l’extrémité de la ville, dans les bâtimens où l’école française, nouvellement créée, avait été installée. On était au mois de janvier. Les tranchées étaient déjà longues et profondes, lorsque le chef des fouilles arrivant chez Titeux, vers une heure de l’après-midi, lui apprit que la pioche venait de mettre à nu les premières marches d’un escalier. Sans même prendre la peine de se coiffer, il traversa la plaine, sous une pluie torrentielle, se jeta dans la tranchée, constata la découverte, remonta sur le bord et, tête nue, resta longtemps à regarder les degrés en marbre dont il avait indiqué l’emplacement. L’imprudence était grande ; Titeux rentra frissonnant et fiévreux ; le soir même, il se mit au lit, ne s’en releva plus et mourut laissant à d’autres, non pas le soin de sa mémoire, mais le loisir de continuer son œuvre. La terre qu’il avait désespéré de visiter l’a saisi pour toujours et garde son tombeau. Il repose au milieu des souvenirs qu’il évoquait ; derrière lui, l’Acropole dresse les ruines que son art eût animées d’une vie nouvelle ; à ses côtés coule l’Ilyssus, où Socrate baigna ses pieds, et au loin s’évase le golfe de Salamine, où les Perses se sont engloutis « assommés comme des thons pris dans un filet, » c’est le mot d’Eschyle ; Auguste Titeux ne l’ignorait pas, car il avait le goût des grands écrivains grecs et les lisait souvent.

Bien d’autres artistes que j’ai côtoyés à Rome ont émergé de la foule, et pour trouver leurs noms, il suffit de feuilleter l’Annuaire de l’Institut, mais ceux-là existent encore, chaque année ils affirment que rien ne s’est affaibli en eux, et je n’ai pas à en parler ici. Tous alors inconnus, curieux et travailleurs, riches ou pauvres, artistes et lettrés, nous vivions dans une fraternité féconde, isolés le jour par nos occupations, réunis le soir, bavardant, dessinant aux écoles de costumes, buvant des mezzi caldi en fumant des cigarettes, riant aux « charges » des uns, écoutant le récit des autres, gais, discuteurs, partant parfois en bande pour aller voir la vallée Égérie argentée par le clair de lune, faisant des excursions au lac Nemi, à Lunghezza,