Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non ; nous n’avions jamais su ce que c’était que d’avoir un foyer et nous y prenons goût. Il faut s’enraciner quelque part. Autrement, on ne s’attache à rien.

— Quelles distractions votre mère peut-elle trouver à la campagne ?

— La basse-cour, le jardin, tout est distraction pour elle.

— Mais pour vous ? Cela ne peut vous suffire ? Pourquoi ne demeurez-vous pas à Londres plutôt ?

— A Londres, on est la proie des indifférens : à la campagne, on appartient aux vrais amis. Nous habitons, du reste, assez près de la ville pour que ceux qui se soucient de nous voir puissent venir nous chercher. La seule chose qui me manque, c’est le soleil.

— Et aussi, sans doute, la société si intéressante que vous aviez à Rome ?

— Oh ! neuf fois sur dix, je trouve la compagnie de mes livres bien plus intéressante que celle des hommes.

— Vous me permettrez pourtant de vous conduire un de ces jours lady Athelstone ?

— Malheureusement nous partons pour Wiesbaden demain.

— Pour longtemps ?

— Je ne sais. Nous comptons aller à Saint-Moritz ensuite, puis revenir par les lacs d’Italie ; mais l’hiver prochain…

Il s’écria presque sans réflexion :

— L’hiver prochain je serai en Amérique.

— En Amérique ?.. Qu’est-ce qui vous entraîne de ce côté ?

— Toute sorte de projets ; d’abord je suis tenté de visiter un pays qui est le berceau de la liberté, des lumières…

— Lady Athelstone vous accompagne ? demanda Sylvia,

— Non,.. je ne crois pas. Je ne lui en ai pas encore parlé… Mais sa santé ne pourrait résister à un voyage si rapide.

Sylvia ne répondit rien ; son œil sévère se posa sur la belle dame assise au milieu de la salle avec une telle ténacité, qu’Athelstone, répondant à cette question muette, crut devoir lui expliquer qui était Mme de Waldeck.

— Sa grande originalité, ajouta-t-il, lui gagne tous les esprits vraiment supérieurs, mais lui aliène aussi, cela va sans dire, quelques âmes étroites.

— Il est à craindre que je compte parmi ces dernières, dit miss Brabazon avec hauteur en détournant la tête.

— Pourtant vous admettez qu’il est toujours courageux de sortir des chemins battus ?

— C’est du moins très facile, répliqua Sylvia, trop facile peut-être en certains cas… Cette dame est une amie de lady Athelstone ?

Wilfred fut un instant déconcerté.