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ce que souffrirait lady Athelstone. Au nom de Dieu, ajouta Saint-John avec emportement, l’avez-vous donc épousée pour la tuer ?

— Vous me permettrez d’être seul juge en cette circonstance, répondit froidement Wilfred. Nellie est beaucoup plus raisonnable que vous ne le supposez ; elle ne voit pas certaines choses sous le même jour que moi et je le déplore ; mais je ne l’ai jamais trouvée sourde à une explication sensée. Seulement, cette explication, je ne veux pas la lui donner trois mois d’avance ; ce serait prolonger pour elle la douleur inévitable de la séparation.

— Vous vous trompez sur tous les points, repartit Hubert qui était redevenu maître de lui. Si vous êtes bien décidé, il vaut mieux la préparer vous-même à cette séparation que de laisser au hasard, à quelque accident, le soin de l’en instruire ; je n’ajouterai rien de plus, j’en ai déjà trop dit peut-être.

Le lendemain, les épreuves du manuscrit de Wilfred furent apportées par le facteur après le déjeuner. Nellie les feuilleta du doigt : — C’est de la prose ! dit-elle d’un air étonné.

Au même instant son regard tombait sur le mot divorce, tracé en tête de chaque page, et elle se mit à lire attentivement.

— Cette brochure va coïncider avec les conférences de Mme de Waldeck, dit Athelstone se mettant aussitôt à la correction des feuilles étalées devant lui. Il ne vit pas que Nellie était pâle comme une morte ; elle ne lisait plus, un brouillard s’était répandu devant ses yeux ; était-il possible que ce fût là une protestation en faveur du divorce et signée du nom de son mari ? Plus tard elle se rappela que quelqu’un, Saint-John sans doute, lui avait tendu un verre d’eau. Wilfred corrigeait toujours…

Ainsi, pensait Nellie, après dix-huit mois de mariage, son mari, à l’instigation d’une femme qui le lendemain serait son hôte, plaidait en faveur d’une loi qui devait permettre de rompre le plus sacré de tous les liens ! — Elle se leva sans bruit, et gagna sa chambre en chancelant ; deux heures après, Wilfred étant allé voir pourquoi elle ne descendait pas, la trouva étendue sur son lit :

— Qu’avez-vous donc, mon enfant ?

— Oh ! rien, un mal de tête.

— C’est tout ? reprit-il en se penchant affectueusement sur elle, vous êtes bien sûre que c’est tout ? Si vous saviez les sottises que vient de dire ce vieux Hubert pour me tourmenter !

— Qu’a-t-il dit ? demanda-t-elle en se soulevant vivement sur l’oreiller. Ses joues s’étaient empourprées tout à coup.

— N’a-t-il pas osé me soutenir que mes écrits vous faisaient une peine infinie ? Comme si je ne savais pas mieux que lui ce que vous éprouvez, moi, votre mari, à qui vous ne cachez rien, n’est-ce pas, ma Nellie ? Je lui ai répondu qu’il vous calomniait,