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— J’ignore si je dois prendre cette citation pour un compliment ; je ne suis pas Mme de Staël, par malheur.

Au moment même, un rayon de lune, qui caressait les plis neigeux de la robe de Mme de Waldeck, éclaira aussi certaine araignée occupée à s’y promener. Cette femme intrépide n’avait qu’une faiblesse, la peur des araignées, peur qui s’empara d’elle tout à coup et lui fit oublier les dimensions peu communes de son pied, si soigneusement caché d’ordinaire ; secouant sa robe, avec un cri, elle étendit le terrible engin de destruction et eut vite fait d’écraser l’insecte inoffensif. Presque aussitôt elle le regretta ; les deux hommes assis auprès d’elle avaient vu son pied ; ils avaient pu voir aussi, à moins d’être aveugles, qu’elle écraserait avec la même cruauté tout obstacle importun qui se trouverait sur son chemin.

— Eh bien ! dit Saint-John, voilà pourtant un point de ressemblance avec Mme de Staël !

Il avait parlé très bas, néanmoins elle l’entendit : qu’avait-il voulu dire ? Sa mémoire la servit d’une façon impitoyable ; elle se rappela que la femme de génie dont il était question passait pour avoir le pied grand et fort. La crainte vague que Saint-John lui inspirait déjà devint de la haine à partir de cet instant ; mais elle n’en laissa rien paraître et ne cessa au contraire de faire à Wilfred l’éloge de ce butor, car il entrait dans ses projets que rien ne troublât la confiance d’Athelstone à l’égard de son ami jusqu’au moment où il quitterait sa femme pour un temps indéterminé.

Pauvre Saint-John ! sa position était étrange et douloureuse ! Il n’avait pas trente ans, il était amoureux, prêt à tous les sacrifices pour assurer le bonheur de sa bien-aimée, forcé de s’avouer en même temps que le naufrage de ce bonheur pouvait seul lui permettre de nourrir une espérance égoïste, trop loyal avec cela pour s’arrêter à la pensée de profiter des fautes de celui qui avait été son meilleur ami. Essayer de combattre l’influence de Mme de Waldeck eût été inutile d’autre part ; tout ce qu’il aurait pu faire, c’eût été de railler ses utopies et ses chimères de façon à les rendre ridicules à mesure qu’elle les développait ; mais pendant son séjour chez les Athelstone, Mme de Waldeck ne s’exposa guère à de dangereuses réfutations ; elle se tint prudemment sur un terrain moins ambitieux, qui lui permettait néanmoins de montrer la culture incontestable de son esprit en soulignant l’infériorité de sa rivale. De temps à autre pourtant, Hubert trouvait moyen de l’attaquer, mais ses boutades assez rudes ne servaient qu’à faire ressortir la bonne grâce avec laquelle Mme de Waldeck savait y répondre. Il est vrai que le champion de Nellie se trouvait assez récompensé par la joie que les défaites momentanées de Mme de Waldeck causaient à la chère créature qu’il adorait en