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milieu les hommes d’autrefois, ou essayé de les y replacer. Et pourquoi, si c’est à Balzac un mérite si rare « d’avoir dégagé de l’argent tout le pathétique terrible qu’il contient, » n’en serait-ce pas un tout aussi rare à Rousseau que d’avoir le premier fait descendre le pathétique de l’amour des hauteurs de la scène tragique dans le roman de la vie commune? L’amour, avec tous les sentimens morbides qui se dérobent sous le prestige de son nom, comme avec toutes les passions qui se servent de lui pour courir à leur assouvissement, jouerait-il un rôle moins « pathétique » et moins u terrible » que l’argent? L’auteur de Nana ne le soutiendra pas, ni l’admirateur de la Cousine Bette. Eh ! certes oui ! disons-le, puisqu’il plaît à M. Zola, que les romantiques ont « rompu la chaîne de la tradition française, » mais convenons que leur œuvre n’a pas péri tout entière et qu’il est demeuré d’eux des acquisitions durables. Accusons-les d’être « les bâtards des littératures étrangères, » M. Zola le veut, nous le voulons avec lui, mais avouons qu’ils ont singulièrement élargi l’horizon de nos regards et que nous en profitons. N’ajoutons pas toutefois « qu’ils cessaient d’être en cela les fils légitimes de leurs pères du XVIIIe siècle, » car ce serait une lourde erreur. M. Zola, qui parle souvent, depuis quelque temps, « de remonter à Diderot et à ses contemporains, comme aux seules sources vraies de nos œuvres modernes, » ignore sans doute que Diderot est tout Anglais. Sa science lui vient de Newton, sa philosophie de Bacon, sa morale de Shaftesbury, c’est dans Stanyan qu’il apprend l’histoire, c’est Chambers qu’il refond dans son Encyclopédie, disciple avec cela de Richardson et de Sterne dans le roman, comme dans le drame imitateur de Moore et de Lillo. Vous ne trouverez pas dans l’histoire de notre littérature deux écrivains qui soient ainsi comme anglicanisés, et je ne parle pas de ce qu’il emprunte à ses amis, et connaissances, le Genevois Rousseau, les Allemands Grimm et d’Holbach, les Italiens Galiani, Riccoboni, Goldoni et tutti quanti. Si celui-là représente « la tradition française, » vraiment, ce n’était pas la peine de traiter les romantiques de «bâtards des littératures étrangères! »

Il est possible, au surplus, qu’en dépit des chicanes, cette manière de construire l’histoire du roman naturaliste ne déplaise pas trop à M. Zola. Si l’on détermine, en effet, depuis Rousseau jusqu’à M. Paul Alexis, l’apport certain de tous les romanciers de quelque valeur et, comme on dit, leur part de contribution au roman naturaliste, il semble permis à M. Zola de se féliciter et de se congratuler plus fièrement que jamais d’être M. Zola :

Zola comme un soleil en nos ans a paru.


Car enfin, n’est-ce pas comme si nous convenions que l’Assommoir est le terme où tout devait aboutir? et tandis qu’il suffisait à M. Zola