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Cependant, il n’y a pas d’illusion plus commune, et il n’y en a pas de moins philosophique. M. Zola, par malheur, y donne aussi pleinement que possible. Et pour parler le langage qui lui plaît, il croit, ou il parle comme s’il croyait être le terme d’une évolution dont il n’est avec toute son école qu’un moment, et peut-être un moment insignifiant.

Il résulte de là plusieurs conséquences. — La première, c’est que le roman naturaliste fera son temps, et qu’avant même de l’avoir accompli, peut-être verra-t-il renaître telle forme du roman qu’il considère fort impertinemment comme à jamais condamnée. Les romantiques n’étaient-ils pas bien convaincus d’en avoir fini des classiques ? l’auteur de Ruy Blas avec l’auteur du Cid ou de Britannicus ? — La seconde, c’est que la formule naturaliste n’a le droit d’exclure du domaine de l’art aucune autre formule, non pas même la formule du roman historique, encore moins la formule du roman idéaliste. Et qui sait si nous ne verrons pas renaître le roman d’aventures, avec lequel pourtant le XVIIIe siècle croyait bien en avoir terminé ? Rappelez-vous ce que pensait Voltaire de ces Mémoires de d’Artagnan, par exemple, d’où devaient sortir les Trois Mousquetaires. — La troisième, c’est que justement parce que le roman naturaliste répond de nos jours à certaines préoccupations, ou plutôt, j’oserai le dire, à un certain abaissement de l’esprit public, rien ne nous garantit que l’avenir ne sera lui pas très sévère, pour avoir aidé de toutes ses forces à cet abaissement, et que cet avenir ne soit pas plus prochain qu’on ne pense. J’ai nommé quelquefois, à propos de M. Zola, Restif de la Bretonne ; son succès dans !e temps n’a pas été beaucoup moins bruyant, et qu’en reste-t-il ? Qui est-ce qui connaît, si ce n’est les amateurs de gravures, la Paysanne pervertie ? — La quatrième, c’est que, quelle que soit la formule, il n’y a jamais au fond des œuvres que ce que les hommes y mettent, et c’est ce qui fait que les œuvres demeurent quand les théories tombent. Quelle était la formule de l’auteur de Manon Lescaut ? — La cinquième… Mais je laisse au lecteur le plaisir de la tirer, ainsi que la sixième, sans compter toutes celles qui pourraient suivre, et j’arrive promptement à la dernière ; elle sera bien nette : c’est que s’il ne faut pas beaucoup de romans de l’espèce de Nana pour mettre bien bas la fortune du naturalisme, ce ne sont pas des livres comme ce dernier-né de M. Zola qui la relèveront.


F. BRUNETIERE.