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« Tout ce qui a été imité de Sophocle, quoique très faiblement, dans l’Œdipe, a toujours réussi parmi nous, et tout ce qu’on a mêlé d’étranger à ce sujet a été condamné. Il faut donc conclure qu’il fallait traiter Œdipe dans toute la simplicité grecque. »

Ainsi, pas plus Voltaire que Fénelon ni Racine ne considérait Œdipe roi comme une tragédie d’intrigue, ni ne pensait à vanter Sophocle pour son habileté singulière à combiner, monter, et ajuster ensemble tous les ressorts d’un drame. Mettez même que cette habileté soit, comme on l’affirme, indispensable au théâtre et qu’Œdipe roi soit construit aussi adroitement que Diana, la dernière pièce de M. d’Ennery, nous nous refuserons cependant à louer d’abord ce chef-d’œuvre pour un tel mérite, comme à louer un bel édifice pour la qualité de sa charpente ou une belle personne pour l’excellence de son système osseux. Assurément, il est bon que l’auteur dramatique sache le « métier ; » mais s’il se contente de le savoir, même le mieux du monde, au lieu de bons drames et de comédies, il ne produit que des mélodrames et des vaudevilles. En quel temps, en quel pays cet art d’imaginer et de combiner des événemens a-t-il produit œuvre durable, et s’il faut juger les dramaturges selon qu’ils ont possédé plus ou moins parfaitement cet art, quel poète me citerez-vous qui vaille Victor Ducange ou M. Scribe? Ce n’est pas Sophocle ni nos tragiques; ce n’est pas Aristophane ni Molière. Quoi de plus misérable, au gré d’un régisseur de l’Athénée ou des Bouffes-du-Nord, qu’une intrigue de Molière? La moindre « pochade » aujourd’hui est mieux faite et « plus faite » que le Bourgeois gentilhomme et le Misanthrope. Est-ce donc Shakspeare qu’on opposera aux maîtres machinistes du théâtre contemporain? Alas, poor Will!.. Combien misérable, à ce compte, auprès de Caigniez et de Bouchardy, Shakspeare! Qui a parlé de Shakspeare? Savez-vous bien que « la seule pièce dont on lui attribuait jusqu’ici l’invention tout entière se trouve être, en fin de compte, un vaudeville d’actualité ! » Feuilletez, je vous prie, la remarquable Introduction et les Appendices que M. James Darmesteter vient de joindre à son édition classique de Macbeth. Le premier en France, M. Darmesteter communique au public les résultats de l’enquête ouverte en Angleterre par MM, Furnivall et Dowden, chefs de l’école critique, laquelle, au lieu d’accepter l’œuvre entier de Shakspeare u comme un livre révélé, » entreprend de faire, avec discernement et prudence, l’histoire de son génie. Eh bien! écoutez ce rapport et dites si Shakspeare fournit un argument pour notre thèse ou bien contre : « Dans ses premières pièces, dit M. Darmesteter, point de caractères, mais seulement des intrigues ; à mesure qu’il avance, les caractères éclatent et dominent l’intrigue. » Voilà, je pense, qui est clair; et si la proposition paraît péremptoire, c’est assez, pour se convaincre qu’elle l’est à bon droit,