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ment ils ont les droits du règne, ils sont les maîtres de tout ; ils peuvent se dire les représentans de la souveraineté nationale, les mandataires incontestés du pays qui les a élus. Oui, sans doute, le scrutin a prononcé ; mais en même temps qu’on serre de plus près les élections, qu’on examine cet autre fait qui ne laisse pas d’être caractéristique et d’avoir sa gravité. Sauf dans certaines régions, livrées à une perpétuelle incandescence, et dans des villes populeuses, aux opinions toujours avancées, dans une multitude de circonscriptions, au nord et au sud, à l’est comme à l’ouest, le candidat de l’opposition et le candidat républicain marchent presque du même pas. Souvent il n’y a entre eux qu’une petite différence de voix. On retrouve à chaque instant cette proportion de 9,000 à 8,000 voix, de 6,000 à 5,000 voix, et il n’est pas rare de voir la différence tomber à 200 ou 300 voix. Il est tel arrondissement, réputé républicain, donnant une majorité marquée à un candidat républicain, et où un légitimiste pur arrive néanmoins à obtenir jusqu’à 6,000 suffrages. C’est un phénomène qui se reproduit assez fréquemment dans les diverses parties de la France. Qu’en faut-il conclure ? Qu’en dépit de tout, le pays reste assez partagé. La minorité peut être vaincue, elle ne désarme pas ; elle persiste, elle forme une masse assez imposante. Les milliers de voix qui se rallient à l’opposition, sans parler de près de trois millions d’abstentions ne sont pas toutes contre la république, si l’on veut, elles ne menacent pas le régime établi ; elles signifient du moins qu’il y a des mécontentemens, des défiances qu’on n’a pas su dissiper ou apaiser, qu’il y a une notable portion de Français qui sent toujours le besoin de protester contre certains actes et contre une certaine direction de politique. Cela veut dire que la question n’est pas aussi définitivement tranchée qu’on le croit, que le pays est assez partagé pour que ce phénomène persistant, invariable, soit toujours à considérer dans les délibérations publiques.

Les républicains ont la majorité, dit-on, c’est le droit des majorités d’imposer leur volonté, de gouverner avec leurs idées et leurs opinions, de pousser jusqu’au bout la réalisation de leurs programmes. C’est possible. Vous avez la majorité dans le parlement, peut-on dire aux maîtres du jour ; vous avez le gouvernement avec ses prérogatives et ses avantages ; vous avez la loi et la force, les ministères et les magistratures, la feuille des bénéfices pour tous les emplois, y compris les gendarmes ; vous avez le pouvoir de modifier la législation, de manier tous les ressorts de l’administration, de l’état. Soit, on ne dit pas le contraire. S’ensuit-il que, dans un régime qui a l’ambition d’être un régime libre, qui dans tous les cas, par son nom même, est censé être le régime de tout le monde, la majorité ait le droit de traiter en vaincues ou en ennemies des minorités qui, après tout, sont une portion vivante du pays ? Les minorités existent, les élections en révèlent la persistance