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bienveillante, permettant d’équivoquer, l’étendue de ses engagemens. Notre recul le rendait joyeux et expansif. Il se plaisait à reconnaître que la France ne pouvait tolérer les remaniemens de toute nature qui s’opéraient en Allemagne sans être dédommagée. Une entente entre les deux gouvernemens lui paraissait d’autant plus désirable qu’il ne se faisait aucune illusion sur les sentimens de l’Autriche. Il savait qu’elle poursuivait la revanche et qu’elle ne négligeait aucun effort pour s’assurer notre concours. C’est ce qu’il ne cessait de représenter à son souverain en toute occasion, mais le roi était irrésolu, craintif ; pour le déterminer à prendre un parti, il faudrait plus que des indications, des conjectures, il faudrait un événement, une circonstance grave. « Pourquoi l’empereur met-il un si grand soin à éteindre le feu qui menace de s’allumer en Orient ? La France et la Prusse pourraient s’y chauffer ensemble. Vous n’avez pas plus que nous un intérêt direct ou immédiat dans le Levant, et, si les choses s’y compliquaient, il faudrait bien nous entendre. « Frédéric II, de son propre aveu, n’avait jamais eu de plan arrêté d’avance ; il se réglait toujours sur la marche des événemens et la conduite de ses adversaires. C’était le système de M. de Bismarck, il passait d’une combinaison à une autre suivant les besoins du moment. Le 3 décembre, il trouvait qu’il importait de conjurer le démembrement de l’empire ottoman et de préserver la paix du monde ; il s’offrait à nous seconder dans cette grande tâche et à régler son pas sur le nôtre ; trois semaines plus tard, sans souci des transitions, il nous proposait tout à coup de faire flamber l’Orient, de nous chauffer à son brasier et de chercher dans ses décombres le moyen de satisfaire nos communes ambitions.

Tandis que M. Benedetti avec une entière confiance, et M. de Bismarck avec une sincérité relative, débattaient les conditions d’une alliance, qui devait permettre à la Prusse le passage du Mein et à la France l’annexion de la Belgique, on colportait dans les cercles diplomatiques de Berlin une de ces nouvelles « qui se donnent en mille, » comme l’écrivait Mme de Sévigné, tant elles déroutent toutes les prévisions. On parlait à voix basse et comme d’un événement d’une grande portée du mariage du comte de Flandres avec la princesse Marie de Hohenzollern. On ne s’y méprenait pas, c’était un coup droit porté aux convoitises de la politique impériale. Il était dit que la maison de Hohenzollern serait fatale à l’empereur.

Le mariage du comte de Flandres avait été imaginé et poursuivi secrètement par le baron Nothomb, ministre de Belgique à Berlin. Déjà, en 1813, à la conférence de Londres, où tout jeune il représentait son gouvernement naissant, M. Nothomb avait contribué pour une bonne part à faire avorter les projets de M. de Talleyrand qui, suivant l’expression de lord Palmerston, combattait comme un