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boiteux. Une quatrième nous menace : le monométallisme argent.

On invoque contre le bimétallisme la rigueur des principes ; la thèse de ses adversaires est nette et simple, ils la disent irréfutable :

Il est impossible de régler par la loi le prix d’une marchandise;

L’or et l’argent sont des marchandises ;

La prétention de régler le rapport de leurs prix, quel qu’en soit pour un temps le succès, est une dangereuse absurdité.

L’expérience du passé accroît l’assurance des économistes; le rapporta varié, cela n’est pas douteux : il était égal à 12 au XVIe siècle, nous l’avons vu longtemps fixé à 15 1/2, il est à 17 aujourd’hui et tend, dit-on, à s’accroître. Plus d’une ordonnance de l’ancien régime, — la dernière est de 1785, — allègue pour altérer le poids des monnaies, le changement survenu dans le prix des métaux. Les partisans du bimétallisme repoussent le principe, et, sans contester la variation des prix dans le passé, ils pensent qu’une loi bien faite et l’entente des grandes puissances en préserveraient l’avenir. L’offre et la demande règlent le prix des marchandises : en essayant d’y soustraire le blé, on n’a obtenu que la famine ; mais le principe a des exceptions : pour infirmer une fausse généralisation, un exemple suffirait sans autre discussion ; il serait aisé d’en citer dix.

Si, par une décision qui ne serait pas nouvelle, un gouvernement s’engage à payer 20 francs la tête d’un loup et 40 celle d’une louve, les professeurs d’économie politique protesteront-ils au nom des principes? Les bêtes fauves, quand leur tête est à prix, deviennent des marchandises; est-il impossible et absurde de décider qu’une louve vaut deux loups?

Si une nation, pour favoriser la navigation, paie 100,000 francs tout chronomètre, quelle qu’en soit l’origine, qui, dans un voyage de six mois, ne varie pas d’une demi-seconde, en s’engageant à prendre pour 10,000 ceux qui varient de moins de deux secondes, dans ce rapport, arbitrairement établi entre les chronomètres de première et de seconde qualité, qui osera voir une preuve d’ignorance et dénoncer une injure à la science? Les géomètres seuls, et pour la la géométrie seulement, ont le droit de montrer tant de délicatesse.

Le prix relatif de deux marchandises peut être réglé, dans certains cas ; en est-il ainsi pour l’or et l’argent? Il faut étudier la question, non la trancher au nom d’un principe.

Si les grandes puissances, se mettant d’accord, consentaient à frapper sans limite, pour tout propriétaire de lingots, la monnaie d’or et la monnaie d’argent, le rapport des valeurs étant uniformément fixé à 15 1/2, les deux monnaies, dans le monde entier, seraient acceptées sans répugnance et sans perte, comme elles le