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quantités énormes de chaleur. J’ai donné autrefois dans la Revue la théorie suivante de ces phénomènes[1] : les météorites s’enflamment à 250 ou 300 kilomètres de hauteur; aussitôt qu’elles entrent dans l’atmosphère, elles y trouvent une résistance croissante et si subite à cause de leur énorme vitesse, que l’effet ressemble à un coup de marteau et qu’elles se brisent en menant grand bruit. La chaleur créée par la vitesse perdue est énorme, elle naît à la surface, qui rougit, se fond et se couvre d’émail; elle ne pénètre pas à l’intérieur à cause de la mauvaise conductibilité; mais elle échauffe l’air environnant, qu’elle porte à l’incandescence ; le bolide arrive enfin sur le sol, où sa chute est amortie; à peine a-t-il la vitesse suffisante pour s’enfoncer de quelques pieds. Ce n’est donc point la terre elle-même qui reçoit le choc, c’est l’air; ce n’est point elle qui est échauffée, c’est l’air. La lune, qui partage nos destinées, qui nous accompagne dans l’espace et qui est si près de nous, rencontre, elle aussi, les mêmes masses flottantes et prend sa part du bombardement qu’elles nous infligent; les conditions sont les mêmes, les causes identiques; on pourrait croire que les effets vont se ressembler, il n’en est rien : on va voir qu’ils sont essentiellement différens.

La lune est un astre mort, sans eau, sans air, sans habitans; son aspect est morne et désolé; elle nous montre toujours la même face, l’autre nous est et restera toujours inconnue; elle s’échauffe outre mesure pendant de longs jours, vingt-huit fois plus longs que les nôtres, et arrive à la limite du froid par des nuits de même durée; elle n’a point de chaînes de montagnes, elle possède une configuration spéciale que rien n’a dérangée, que les mouvemens des eaux n’ont altérée, ni recouverte, une surface vierge qui garde éternellement les stigmates des coups qu’elle a reçus, comme une cible de fer conserve la trace des balles qui l’ont frappée. Son histoire est écrite sur sa face. Ceux qui, pour la première fois, l’observent au télescope ne peuvent se défendre d’un étonnement profond; c’est un spectacle émouvant que je conseille à tout le monde et qu’on peut se procurer à bas prix auprès des vulgarisateurs modestes qui installent le soir leurs lunettes aux Champs-Elysées. On y reconnaît tout d’abord de grands espaces sombres à fond uni, de forme arrondie, à bords relevés, qu’on nomme des mers, bien qu’elles n’aient pas une goutte d’eau : Mer du Nectar, de la Sérénité, de la Tranquillité, des Pluies, etc.; elles se succèdent pour former comme une ceinture équatoriale. Autour d’elles, la surface est fortement tourmentée, elle est entièrement couverte de grands cirques ou cratères

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1864.