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à toutes les misères, peut-être pourrait-on désirer cependant que certaines installations intérieures y fussent plus spacieuses. Entre autres, la pièce du rez-de-chaussée, qui sert de salle d’attente pour les femmes avant qu’elles montent aux dortoirs, est singulièrement petite, et lorsque l’asile reçoit le même soir, ce qui n’est pas rare, quatre-vingt-dix à cent pensionnaires, à peine peuvent-elles se mouvoir. Si, avant de pénétrer dans cette salle, on s’arrête sur le seuil, et si on regarde sans être vu par la porte vitrée qui en ferme l’entrée, il est difficile de contempler sans émotion le spectacle qui s’offre à vos yeux. Toutes ces femmes sont là devant vous, assises sur des bancs de bois, avec l’air inquiet d’un animal qui cesserait à peine d’être poursuivi, affaissées sur elles-mêmes comme si elles ployaient sous le poids trop lourd du malheur qui pèse sur elles, et gardant le morne silence de personnes qui sont trop absorbées dans la méditation de leurs infortunes pour prendre intérêt à celles d’autrui. Sur leurs genoux, à leurs pieds, des enfans crient, jouent ou demeurent comme hébétés, et je ne sais ce qui est le plus triste de ces cris, de cette stupeur ou de ces jeux. Il semble qu’on ait sous les yeux, dans cette petite salle, l’accumulation de toutes les détresses humaines. Aussi peu de personnes, peu de femmes surtout, visitant l’asile, ont-elles été amenées en présence de ce spectacle sans avoir senti leur cœur se serrer et les larmes leur monter aux yeux.

Avant de pénétrer dans la salle d’attente, les femmes ont dû passer devant le bureau du directeur, où elles ont répondu à une sorte d’interrogatoire, et par la salle de bains, où elles subissent au point de vue de la propreté une inspection nécessaire. Il est triste d’avoir à dire que l’état de saleté auquel la misère a réduit quelques-unes de ces femmes est tel qu’un seul bain ne suffit pas toujours à en effacer les conséquences. Or comme les lits des dortoirs sont tenus avec une propreté minutieuse, il est impossible de les y admettre dans cet état, et pendant le temps nécessaire à purifier leurs corps et leurs vêtemens, on les fait coucher dans un dortoir spécial, sur des matelas en treillis de fil de fer, garnis d’une couverture, qui sont moins durs à l’user qu’à l’aspect. Ce dortoir est également réservé aux femmes qui sont l’objet d’une suspicion légitime parce qu’elles ne sont munies d’aucun papier et qu’elles n’ont pu fournir au directeur aucuns renseignemens satisfaisans sur leur origine et leur dernier domicile. Dans une maison ouverte la nuit à tout venant, certaines précautions sont, en effet, nécessaires, bien que l’expérience ait révélé sous ce rapport des inconvéniens assurément moindres que ceux dont les fondateurs s’étaient préoccupés. Cependant il n’est pas sans exemple que leur charité ait été victime de quelque mystification. Il n’y a pas bien longtemps, l’asile reçut un soir une