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Sur 7,418 femmes qu’a reçues l’asile depuis le jour de l’inauguration jusqu’au 1er  juillet de cette année, 1,085 sont ainsi rentrées dans les conditions d’une vie normale. Et c’est là, comme pour l’asile des hommes, la meilleure preuve de l’utilité de l’œuvre, la meilleure réponse aux critiques qu’elle a pu soulever.

Parmi ces détresses si variées, il en est qui ne sont pas toujours imméritées. Chaque soir se présentent invariablement à l’asile un certain nombre de jeunes filles qui sortent de l’hôpital voisin, de la Maternité, avec un enfant illégitime sur les bras. Elles viennent attendre le secours de 30 francs que l’Assistance publique accorde aux filles mères. Pendant ce temps, elles cherchent aussi le moyen de placer leur enfant en nourrice au meilleur compte possible. On voudrait que cette étape de quelques jours, dont une donation généreuse permet parfois, au grand profit de leur santé, de prolonger la durée, pût servir en même temps à éveiller en elles quelques velléités de repentir, quelques notions d’une vie plus régulière. Lorsqu’on essaie, on vient se heurter à une indifférence morale absolue et même à une sorte d’inintelligence du langage qu’on leur tient. Si grand est le nombre de celles qui ont commis la faute avant elles qu’elles ne paraissent pas bien comprendre l’importance que d’autres y attachent. Lorsqu’à une deuxième ou à une troisième récidive, on leur tient un langage un peu plus sévère, leurs réponses révèlent parfois chez elles l’existence de ces demi-morales qui sont souvent plus difficiles à combattre que l’immoralité absolue. Une jeune fille qui, déjà mère de deux enfans, se présente avec un troisième, répondra non sans une nuance de fierté : « Mais ils sont tous les trois du même père. »

Une détresse plus grande encore et aussi plus digne d’intérêt est celle des femmes qui, mères de plusieurs enfans, vivaient honnêtement du travail d’un mari qu’elles ont perdu tout à coup, ou par lequel (fait assez fréquent dans les classes populaires), elles ont été abandonnées. Quel conseil donner à ces infortunées ? Quelles espérances leur faire entrevoir ? Comment oser même leur conseiller la résignation, lorsque demain leurs enfans leur demanderont du pain ? Cependant, si difficiles à soulager que soient de pareilles misères, c’est encore leur rendre service que de leur donner le temps d’implorer l’assistance des parens qui leur restent, et en tout cas, avant qu’elles quittent l’asile, d’habiller à nouveau leurs enfans avec des vêtemens bien chauds. Mais il leur échappe parfois quelques-uns de ces mots atroces et navrans qui expriment le dernier terme de la détresse humaine. Comme une personne qui visitait un soir l’asile demandait à l’une de ces femmes, demeurée veuve avec trois enfans dont elle paraissait prendre grand soin, si elle en avait d’autres, celle-ci répondit avec douceur : « J’en avais encore un.