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longtemps dans les quartiers pauvres une œuvre de mission analogue à celle que des pasteurs anglais ont entreprise il y a un certain nombre d’années dans les faubourgs de Londres. La sœur Rosalie a singulièrement contribué à civiliser le quartier Mouffetard et à donner à ses habitans l’aspect relativement décent dont j’ai parlé. Les sœurs de la rue Jenner, celles de la rue Vandrezanne ont exercé une influence pareille dans ces régions de la Fosse-aux-Lions, de la Glacière, de la Maison-Blanche, où les membres de la conférence de Saint-Vincent de Paul, pénétrant pour la première fois en 1848, trouvèrent dans des cahutes en bois des habitans à demi nus qui n’osaient se montrer dans les rues que le soir. Dans ces quartiers, telle fille de la charité, au nom inconnu, exerçant depuis trente ans son humble ministère, a fini par s’acquérir une popularité assez grande pour voir, en dépit des temps, accourir en foule à son école libre des enfans dont elle a élevé les mères.

Quel est donc le secret de cette influence? C’est que les sœurs apportent dans leur enseignement quelque chose que la meilleure des institutrices n’y apportera jamais : l’amour des âmes. Quand l’institutrice laïque a enseigné toutes les matières comprises dans le programme scolaire, sa tâche est terminée, et la nouvelle morale civique, qu’on lui permettra de joindre à ce programme, n’est pas de nature à exercer beaucoup d’action sur les consciences enfantines. Au contraire, la tâche de l’institutrice congréganiste n’est qu’à moitié remplie tant qu’à l’aride programme de l’enseignement primaire elle n’a pas joint, par le précepte et l’exemple, l’enseignement des vertus chrétiennes. Les sœurs continuaient cet enseignement au-delà de l’école et retenaient les jeunes filles sous leur influence par ces liens pieux du patronage ou de la confrérie, qui font hausser les épaules aux esprits forts, mais qui n’en préservaient pas moins beaucoup de jeunes filles des tentations de leur âge. Un trop grand nombre leur échappaient sans doute, mais beaucoup aussi leur demeuraient fidèles et faisaient plus tard d’excellentes mères de famille. Il est de mode aujourd’hui de détruire cette influence et ces liens. C’est dans dix ans ou vingt ans, alors que la génération élevée dans les écoles laïques régnera en souveraine, qu’on en recueillera tous les fruits.

Une fois l’école quittée, l’enfant du peuple entre dans une nouvelle phase : celle de l’apprentissage. Ces années qui s’ouvrent devant lui sont les années décisives de sa vie; ce sont aussi les plus périlleuses. S’agit-il d’un garçon qui fera son apprentissage à l’atelier, l’auteur du Sublime, dans son style imagé, va nous dire comment les choses se passent : « A dix ou douze ans, le sublime trouve que le feignant (c’est de son fils qu’il s’agit) peut bien gagner le pain qu’il mange. On le met chez un fabricant qui