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Et sans honte de sa faiblesse, sans scrupule,
Sans penser qu’on pourrait le trouver ridicule,
Il pleure doucement, l’arsouille, et dans ses yeux,
Ces pleurs inattendus sont plus délicieux
Que si dans une fleur du soleil embrasée
Un oiseau déposait des gouttes de rosée.


Un plaisir que le peuple de Paris goûte non moins que la campagne, c’est le théâtre. J’oserai affirmer qu’il n’y a pas un ouvrier qui ne s’accorde ce plaisir deux ou trois fois par an. Aussi tous les faubourgs de Paris, Belleville, La Villette, Montmartre, Les Batignolles, Grenelle, Montparnasse, les Gobelins, d’autres encore ont-ils leurs salles de spectacle où s’entasse chaque soir un public enthousiaste, à la fois intelligent et naïf. Chassé des théâtres de l’ancien boulevard du crime par l’opérette ou la féerie, le drame s’y est réfugié, car le drame est la passion du peuple. Il faut voir quelles larmes sincères des femmes en bonnet versent sur les malheurs de l’héroïne, avec quels applaudissemens frénétiques des hommes en blouse saluent la punition du traître et la réhabilitation de l’innocence. Aussi est-ce grande fête pour le peuple lorsque les premiers théâtres de Paris ouvrent gratuitement leurs portes et que nos meilleurs acteurs se font honneur de déployer leur art devant lui. Mais c’est encore le drame qu’ils préfèrent, et j’ai été frappé de voir, à la représentation donnée par le Théâtre-Français dans l’après-midi du 14 juillet, avec quelle attention passionnée les péripéties du Cid (qui n’est qu’un sublime mélodrame) étaient suivies par un public manifestement anxieux de savoir si Rodrigue finirait par épouser Chimène. Il y a là même, au point de vue politique, un moyen d’action singulièrement puissant sur les imaginations populaires. On l’a bien vu en 1848, quand un refrain tiré des Girondins est devenu le chant révolutionnaire. Les drames militaires d’autrefois où le petit caporal jouait un si grand rôle n’ont pas été non plus étrangers à la réaction napoléonienne. Aussi l’esprit de parti s’est-il emparé de cette arme, et dans presque tous ces drames historiques les crimes de la monarchie ou les intrigues des jésuites jouent le plus grand rôle. Beaucoup d’ouvriers ne connaissent l’histoire de Louis XV que par Latude, ou Trente-cinq Ans de captivité, sans savoir que sous son règne la Corse et la Lorraine ont été ajoutées à la France.

Le drame rencontre cependant depuis quelques années dans les quartiers populeux une redoutable concurrence : celle des cafés-concerts. L’attrait de ces calés, c’est que généralement on n’a rien à payer pour y entrer, et que le bénéfice du patron consiste à faire payer plus cher au consommateur quelque exécrable boisson. Cependant le succès de ces guinguettes musicales est dû en grande partie à l’empressement avec lequel le public élégant s’est porté