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fut élu président par 154 voix sur 265 votans; mais grâce aux efforts du centre, assisté des Polonais et des Alsaciens-Lorrains, le candidat clérical, M. de Frankenstein, fut élu premier vice-président. L’épreuve cette fois était décisive, les catholiques étaient devenus les arbitres de la situation. De ce jour, le chancelier les invita à ses soirées parlementaires. On put le voir faisant les honneurs de son salon à la petite excellence et s’entretenant, le verre en main, avec M. Reichensperger, des principes et des beautés de l’architecture gothique. Dans le temps de ses hésitations, il y a deux ans de cela, M. de Bismarck disait au cours d’une conversation privée : « J’ai très peu de goût pour le catholicisme, mais je ne serais pas un homme d’état digne de ce nom si je pouvais oublier que douze millions de citoyens de l’empire sont catholiques. Je dois tenir à ce qu’ils ne soient pas froissés dans leur conscience religieuse et dans leurs sentimens les plus intimes. » Il y a deux ans, M. de Bismarck commençait à se douter qu’il avait froissé dans leurs sentimens les plus intimes douze millions de catholiques ; il en est tout à fait convaincu depuis que M. de Frankenstein l’a emporté haut la main sur son compétiteur national-libéral. Peut-être finira-t-il par avoir quelque goût pour le catholicisme; en attendant, il veut déjà beaucoup de bien à l’architecture gothique.

Pour que M. de Bismarck se réconciliât avec le saint-siège, ce n’était pas assez qu’il le voulût, il fallait que le saint-siège s’y prêtât ; quand on négocie, on est deux. Sans contredit, si le gouvernement de l’église était encore aux mains du pape Pie IX, de ce tribun mystique qui cherchait dans son cœur ou dans les oracles du Saint-Esprit les règles de sa politique, qui était le gant à Dioclétien, criait anathème à l’Attila de Berlin et annonçait « qu’une petite pierre, se détachant de la montagne, briserait le pied d’argile du colosse, » le chancelier de l’empire n’aurait à choisir qu’entre la guerre sans merci et une paix sans honneur ; l’otium cum dignitate lui serait à jamais refusé. Mais il avait dit à la chambre des députés prussiens, dès le 16 avril 1875 : « L’histoire nous montre des papes guerroyans et des papes débonnaires. J’ose espérer que nous verrons avant peu sur le trône pontifical un homme pacifique, avec lequel nous pourrons conclure un traité en bonne forme. » Ce souverain pontife s’est rencontré, il s’appelle Léon XIII, et c’est à lui que, dans un jour d’heureuse inspiration, M. Ferry a rendu un éclatant, mais trop platonique hommage. L’objet qu’il s’est proposé dès son avènement était de réparer les fautes et les imprudences de son prédécesseur, de ramener à lui les gouvernemens que le bouillant Pie IX s’était aliénés. Il souhaitait de se faire des amis partout, afin d’isoler ainsi l’Italie et de l’obliger à compter sérieusement avec lui. « Je sais, disait-il à quelqu’un qui lui reprochait sa modération, que je marche dans un chemin qui ne mène pas à la popularité; mais je