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la politique, en Allemagne surtout. Le Ik mai de l’an dernier, M. de Bismarck se plaignait au prince de Reuss de l’opposition systématique et acharnée que faisait le centre à toutes les mesures proposées par le gouvernement : « Ce parti, écrivait-il, a voté par exception la réforme du tarif douanier, et j’en avais conclu que nos négociations avec Rome avaient quelque chance d’aboutir. Ma confiance a fait place au découragement quand j’ai vu dans la dernière session du Landtag prussien les catholiques nous combattre résolument dans des affaires qui ne concernaient point l’église et accorder leur appui à toutes les menées des ennemis de l’empire[1]. » Sans doute M. de Bismarck est revenu de son découragement; il a de bonnes raisons de croire que le jour même où il aura signé son accord avec le Vatican, les répugnances que le monopole du tabac peut inspirer à M. Windthorst s’évanouiront comme par miracle et que ses objections lui paraîtront peu fondées.

En se réconciliant avec le saint-siège, M. de Bismarck se promet de mener à bonne fin ses combinaisons financières et de couronner l’édifice dont ses puissantes mains ont si laborieusement jeté les assises. La bienveillance du Vatican lui procurera un autre avantage, non moins considérable; il compte s’en servir pour faire la conquête morale de l’Alsace, pour venir à bout de cette constance dans le regret, de cette fidélité dans la protestation, de cette tranquille et indomptable opiniâtreté qui cause aux Allemands d’amers déplaisirs, mêlés de beaucoup d’étonnement et d’un peu d’admiration. C’est par l’armée et par l’école qu’on s’est efforcé de modifier l’esprit public dans les provinces annexées; on se flatte de réussir plus aisément si l’on peut obtenir le précieux appui du clergé, qui a été jusqu’aujourd’hui l’âme de la résistance. On s’est toujours étudié à le ménager, à se concilier ses bonnes grâces. Le président de Moeller disait jadis : « J’ai trop d’affaires délicates sur les bras pour y ajouter des questions religieuses. » Aussi se bornait-il à appliquer avec une extrême modération la loi de l’empire sur l’expulsion des ordres étrangers; il ne fermait les séminaires que pour les rouvrir bientôt, il ne cessait de faire les avances les plus empressées à l’évêque de Strasbourg. A vrai dire, les lois de mai ne furent jamais en vigueur dans l’Alsace-Lorraine, les rapports de l’église et de l’état continuaient d’être régis par le concordat français. A M. de Moeller a succédé, sous le titre de lieutenant impérial, le feld-maréchal de Manteuffel, et cet éminent homme de guerre doublé d’un éminent diplomate s’entend mieux que personne à pratiquer

  1. Geschichte des Kulturkampfes in Preussen, von Ludwig Hahn; Berlin, 1881, page 236. Ce livre, qui a le caractère d’une publication officieuse, est un recueil ou plutôt un choix de discours, de lettres, d’articles de journaux relatifs à l’histoire du conflit religieux. Ces documens, triés sur le volet avec beaucoup d’art et même d’artifice, sont destinés à prouver aux naïfs que M. de Bismarck n’a jamais varié ni dans ses sentimens ni dans sa conduite, qu’en faisant la guerre il voulait la paix.