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la politique de ménagemens. « Comparez un peu, dit-il au clergé alsacien, mes procédés à votre égard et ceux dont on use dans votre ancienne patrie, où l’on vide les couvens, en attendant de fermer les églises. » Le clergé est demeuré sourd à ces insinuations, les caresses et les courtoisies n’ont pas eu raison de ses souvenirs, et Rome, en guerre avec Berlin, ne pouvait qu’approuver l’obstination de ses regrets. Quand la paix sera faite, il se trouvera dans un grand embarras. Jusqu’ici, dans toutes les élections, ses candidats étaient d’ardens protestataires. Pourra-t-il encore les recommander aux électeurs? Le saint-siège lui ordonnera peut-être de les combattre, et quand le saint-siège ordonne, il faut se démettre ou se soumettre.

On a beaucoup parlé de la nomination de l’abbé Korum à l’évêché de Trêves. C’est une histoire qui mérite d’être racontée avec quelque détail ; les dessous en sont curieux. L’évêque de Strasbourg, Mgr Raess, est un prélat très vénérable et très vénéré, dont le seul tort est d’avoir quatre-vingt-cinq ans. Quel sera son successeur? Cette inquiétante question tenait depuis longtemps en éveil le clergé alsacien. Il n’ignorait pas qu’on s’était promis d’installer avant peu à Strasbourg un évêque allemand, et il cherchait à conjurer à tout prix le redoutable et douloureux accident dont il était menacé. Il réclamait la nomination d’un coadjuteur alsacien, avec droit de succession. M. de Manteuffel feignit d’entrer dans ses craintes et dans ses désirs; sa diplomatie toujours vigilante, toujours avisée, devait en tirer parti. Il pria l’évêque de Strasbourg de lui désigner son successeur éventuel. Mgr Raess montra peu d’empressement à lui complaire ; il trouvait que la sollicitude qu’on lui témoignait était prématurée, que sa santé était encore solide, qu’il était un peu trop question de sa mort dans tout cela.

Pour triompher de ses résistances et de ses objections, on eut recours aux bons offices de l’internonce de Munich. L’évêque se soumit, mais il désigna des candidats qu’il savait mal notés à Berlin. Il recommanda surtout l’abbé Korum, curé de la cathédrale de Strasbourg, et son clergé tout entier applaudit à ce choix. On connaissait l’abbé Korum pour un prêtre distingué, pour un éloquent orateur, d’un caractère ardent et généreux, détaché de toute ambition personnelle. On savait qu’il avait le cœur très français; mais il avait eu soin de ne point se compromettre dans la politique, comme les députés du clergé protestataire. Aussi s’était-il acquis les sympathies de Mlle de Manteuffel, qui, quoique protestante, suivait assidûment ses sermons. Le lieutenant impérial faisait le plus grand cas de lui; toutefois, il refusa de le cautionner; il allégua sa jeunesse. — A quarante ans, disait-il, on n’a pas le calme d’esprit, la maturité de jugement nécessaires à l’administration d’un grand diocèse. — Il se garda bien cependant d’imposer à l’évêque un coadjuteur allemand; les vrais diplomates savent attendre. Le candidat de ses rêves était un chanoine alsacien de santé