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fort chétive, fort compromise. On amena adroitement l’évêque à le désigner; les négociations ne traînèrent ni à Rome ni à Berlin, ce valétudinaire fut nommé aussitôt que proposé. C’était un premier succès, bientôt suivi d’un second plus important pour la politique prussienne.

L’évêché de Trêves était vacant, l’empereur n’avait pas agréé les ouvertures que lui faisait le chapitre. M. de Manteuffel eut une idée lumineuse. Oubliant tout à coup qu’on n’a pas à quarante ans le calme d’esprit nécessaire à l’administration d’un grand diocèse, il proposa hardiment l’abbé Korum. « Eh ! quoi, lui répondit. M. de Bismarck, y pensez-vous? S’il m’en souvient, vous le trouviez trop jeune, trop ardent et trop Français. — Distinguons, repartit le feld-maréchal. Ses défauts, dangereux à Strasbourg, ne le seront plus à Trêves. Les prêtres des provinces annexées seront flattés de voir l’Allemagne entière s’ouvrir à leurs ambitions, et le jour où l’évêché de Strasbourg viendra à vaquer, il nous sera permis de leur représenter qu’après avoir nommé un Alsacien en Allemagne, nous avons bien le droit de nommer un Allemand en Alsace. Au surplus, ajoutait-il, l’abbé Korum est un homme superbe, ce qui n’a jamais rien gâté. » M. de Manteuffel gagna sa cause. Il restait à obtenir le consentement du candidat; ce ne fut pas chose aisée. L’abbé Korum est aussi clairvoyant que patriote; il devina sur-le-champ à quoi tendait cette ingénieuse manœuvre, il répondit par un refus catégorique. On mit tout en mouvement pour le fléchir, pour vaincre ses scrupules ; M. de Bismarck lui dépêcha un secrétaire de son cabinet, l’internonce lui livra plus d’un assaut. L’abbé Korum ne céda point; mais on le pressait si vivement qu’il demanda un congé de huit jours pour exposer au saint-père les motifs de son refus. On avait tiré parole de Léon XIII, qui n’avait aucune raison de ménager la France. Il ferma sa porte à ce rénitent, qui ne put l’approcher; il se contenta de lui signifier qu’il eût à se mettre en retraite et à se préparer à son ordination. Voilà comment il se fait qu’après avoir été dispensé du sarment de fidélité à l’empereur, l’abbé Korum est aujourd’hui évêque de Trêves et que, dans un délai plus ou moins long, le clergé alsacien aura la douleur d’être à la discrétion d’un prélat allemand. Si nous sommes sincères, nous conviendrons que nous n’y avons pas nui.

En Allemagne, c’est la politique qui gouverne ; chez nous, c’est l’esprit de parti, et c’est vraiment là notre malheur. Dernièrement un homme de grand savoir et de grand mérite se faisait applaudir en déclarant que l’ennemi, c’est le curé, et ces applaudissemens, parait-il, ont « illuminé son avenir. » M. Paul Bert, qui est du bois dont on fait aujourd’hui les ministres, n’aime pas le curé; il le considère comme le représentant ici-bas de la métaphysique, et la métaphysique lui cause des colères rouges. Il a décidé aussi que les religions dépravent