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je vous prie, l’ouvrage à Nos Fils, de ce même M. Cadol, que joue en ce moment le Théâtre-Déjazet. N’êtes-vous pas surpris que ces deux comédies soient du même auteur, l’une tellement simple, unie et peu « chargée de matière, » — pour revenir encore à l’expression de Racine; — l’autre encombrée d’une telle « multiplicité d’incidens! » Faut-il croire que M. Cadol vieillissant se réfugie dans la pièce d’intrigues, parce qu’il ne sent plus « dans son génie, ni assez d’abondance, ni assez de force pour attacher les spectateurs par une action simple, soutenue de la violence des passions, de la beauté — ou de la vérité — des sentimens et de l’élégance de l’expression? » A vrai dire, je ne jurerais pas que, même dans la Belle Affaire, vous trouviez tous ces mérites. L’élégance de l’expression me paraît y faire défaut; j’entends la saine et pure élégance, car l’ordinaire vulgarité du langage et du ton n’exclut pas de ci, de là, dans ce dialogue laborieux, la préciosité d’un esprit à la fois facile et difficile, c’est-à-dire l’emploi de « mots » trouvés à peu de frais, mais péniblement amenés. Même, par ce double aspect, ce style convient à la fois au talent de Mme Raucourt, — une Brohan des halles, — et au jeu de M. Porel, ce bon comédien, un peu guindé par un séjour trop prolongé dans sa province de l’Odéon. Et c’est dommage, en vérité, que la qualité habituelle du style de M. Cadol ne soit pas meilleure; car il s’y trouve en maint endroit de l’esprit, du véritable et du plus bravement comique. Le rôle du père est fort bien tenu par M. Cornaglia, le personnage de ce Chrysale, qui n’est Chrysale qu’autant qu’il veut, qui abandonne à sa femme le gouvernement de sa maison, mais qui le reprend à la fin quand il voit la dignité de son gendre et le bonheur de sa fille compromis par l’égoïsme de cette tyrannie octroyée. Tout ce personnage est traité avec une bonhomie, une franchise, une verdeur d’allures qui plaisent nécessairement au public; et la figure de la fille, que Mlle Sisos représente avec beaucoup d’agrément et de finesse, est touchée délicatement.

Mais je reviens à mes moutons. Ce qu’il faut louer de cette pièce, surtout au regard d’un imbroglio comme Nos Fils, c’est sa carrure, sa netteté, c’est sa bonne assiette ; et c’est par là surtout que le spectacle en est plaisant : qu’il s’en rende compte ou non, le public n’aime guère ces édifices bizarres dont la construction inquiète l’œil ; il a plus d’agrément à contempler des lignes simples, dont la pureté le repose, dont la symétrie le dispense d’un certain effort d’attention et lui laisse le loisir de goûter comme il faut le détail de l’ouvrage. Quoi de plus clair en effet, que le sujet de la Belle Affaire? Il s’expose en deux lignes. C’est celui d’un Beau Mariage, de MM. Augier et Foussier, ramené adroitement de la haute comédie à la comédie bourgeoise. Un jeune homme pauvre épouse une jeune fille riche ; il est opprimé par sa belle-mère, qui peu à peu écarte de lui sa femme; il reconquiert