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lui une situation relativement facile, des adversaires bien impuissans, un pays aisément rallié à un régime qui le flattait dans quelques-uns de ses instincts et qui avait le mérite d’exister. L’erreur désastreuse des républicains devenus les maîtres souverains du pouvoir a été de se figurer aussitôt qu’ils pouvaient tout se permettre. On s’est fait un jeu d’abuser de tout, défausser ou d’user les ressorts les plus délicats de l’organisation publique, d’introduire les passions de secte dans la politique de l’état, de tout ramener, les finances, l’armée, la justice, les cultes, l’administration, à des calculs et à des intérêts de parti. On a eu la prétention, on s’est fait l’illusion de fonder le vrai gouvernement républicain dans les conditions d’un régime parlementaire, et en réalité on n’a eu que des fictions de gouvernement et de régime parlementaire. On a réussi pour le moment, c’est possible ; on vient de réussir encore dans les élections, nous le voulons bien. Le fait réel, palpable et saisissant, c’est cette confusion où l’on se débat aujourd’hui, d’où l’on sortira comme on pourra, et qui en définitive n’est que la suite de l’altération arbitraire de toutes les conditions de la vie publique. C’est une anarchie qui, pour n’avoir rien de précisément violent, n’est peut-être pas moins dangereuse.

La vérité est que tout se passe irrégulièrement aujourd’hui et que nous avons depuis quelques semaines la chance de vivre dans un provisoire assez étrange. Le gouvernement a cru sans doute faire un coup de maître, il a voulu sûrement, dans tous les cas, servir à sa manière l’intérêt républicain en précipitant les élections. Qu’arrive-t-il maintenant ? Ministère et partis se trouvent dans cet état bizarre où ils ne savent plus de quel côté se tourner, entre l’ancienne chambre, qui a perdu toute autorité morale, quoiqu’elle n’ait pas cessé d’exister selon le droit constitutionnel, et une chambre née d’hier, qui a la jeunesse, la force, sans avoir encore pour elle la légalité. Cette assemblée nouvelle, qui existe et qui n’existe pas, quand pourra-t-elle être réunie pour assumer légalement son mandat ? Sera-ce le 17 octobre ? Sera-ce le 29 octobre ? La législature qui va expirer compte-t-elle du premier jour des élections de 1877 ou du jour des derniers ballottages, ou même, puisqu’on est dans la voie des interprétations, du jour de l’entrée en fonctions de la chambre ? Les casuistes, à ce qu’il paraît, sont occupés à trancher cette grande question, qui tient tout en suspens ! Et qu’on ne dise pas que c’est la faute de la constitution, qui n’a rien prévu sur ce point. Rien n’était plus facile, si l’on tenait à se hâter, que de demander au sénat une dissolution qui n’eût été qu’une simple formalité ; à défaut d’un recours au sénat, si le moyen semblait trop extraordinaire, rien n’était plus naturel et plus régulier encore que d’attendre les derniers jours de la législature, de façon à ménager une transition insensible. On a préféré aller à l’aventure, se passer du sénat et ouvrir le scrutin à l’improviste, sans s’inquiéter des incohé-