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basques ou à Carthagène. La France ne pouvait avoir l’idée de refuser des dédommagemens aux Espagnols qui ont eu à souffrir, et le gouvernement espagnol, de son côté, ne se refuse pas à examiner les réclamations françaises. Un sentiment commun de justice et d’humanité a tout résolu. — Une autre partie du discours royal a de l’intérêt. Le souverain espagnol annonce, au nom de son gouvernement, l’intention de régler les dettes nationales, et il est certain qu’un règlement de ce genre, surtout s’il était définitif, s’il ne devait être suivi ni de révisions, ni de supplémens, serait aussi utile pour le crédit de la péninsule que pour les créanciers de l’Espagne. Il y a un dernier point enfin, celui qui touche à la politique intérieure, sur lequel Alphonse XII se prononce avec un sentiment de libérale équité. Le jeune souverain a exprimé le désir que désormais « les partis, en essayant par les voies légales de faire prévaloir leurs doctrines dans l’état, arrivent ainsi à alterner au pouvoir sans autres préférences que celles que manifeste l’opinion... »

Ramener la vie publique espagnole à n’être plus qu’une lutte légale d’opinions sous l’égide d’une monarchie impartiale, dégagée de tout esprit d’exclusion, c’est assurément une ambition généreuse, c’est l’ambition et le rôle des vraies royautés constitutionnelles. La question est de savoir si la politique, telle que l’entend le cabinet de Madrid, est faite pour réaliser ce grand dessein. Le ministère aura certainement des luttes sérieuses à soutenir, et dans le congrès, où il trouvera devant lui des hommes comme M. Canovas de! Castillo, M, Romero Robledo, et plus encore dans le sénat, où le parti conservateur reste assez puissant. Le ministère dispose, il est vrai, d’une assez grande majorité dans les deux assemblées; mais, surtout en Espagne, il n’y a pas de majorité qui puisse soutenir un gouvernement où la division serait entrée, et la difficulté est justement de maintenir, de prolonger au-delà d’une certaine mesure cette alliance des diverses fractions libérales par laquelle le cabinet a vécu jusqu’ici. Si le président du conseil, dans l’espoir de trouver de nouveaux alliés, inclinait vers un libéralisme plus prononcé, vers le parti démocratique, il ne tarderait pas à être abandonné par quelques-uns de ses collègues, par le général Martinez Campos, sans pouvoir compter sérieusement sur les alliés qu’il rechercherait. M. Sagasta paraît bien le sentir lui-même, puisqu’il a pris pour candidat à la présidence de la chambre un des plus anciens parlementaires, aussi conservateur que libéral, M. Posada Herrera. La force du cabinet est donc dans cette alliance qui l’a fait vivre jusqu’ici. C’est sa plus sûre garantie dans les luttes qu’il va avoir à soutenir devant le nouveau parlement de l’Espagne.


CH. DE MAZADE.