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considérable et d’une flotte importante, c’est-à-dire au maintien d’une force militaire capable d’agir sur tous les points du globe et de résister au besoin à toutes les grandes puissances, séparées ou réunies. Or il est clair que la Turquie proprement dite n’est plus ni assez riche ni assez peuplée pour cela. Elle doit même se résigner à n’avoir qu’une très faible armée. Tous ceux qui ont étudié de près sa situation présente professent à cet égard la même opinion. La commission internationale qui avait été chargée en 1879 de faire une étude complète de son état financier disait dans son rapport : « Le crédit de 300,000 livres sterling alloué par la commission au ministre de la guerre correspond à l’entretien d’une armée de cent mille hommes seulement, tandis que l’effectif est encore de trois cent mille hommes, qui, à raison de 30 livres sterling, pai-tête, coûtent annuellement 9,000,000 de livres sterling, somme tout à fait supérieure à ce que la Turquie peut consacrer à son armée. » Il va sans dire que les ministres turcs ont tenu fort peu de compte des réductions opérées dans le budget de la guerre par la commission internationale. Le rapport ministériel sur le budget de 1276 (1880-1881) avoue que, malgré le licenciement des rédifs, l’effectif de l’armée s’élève à 169,431 hommes, et ce chiffre est certainement très au-dessous de la vérité. Les officiers n’y sont pas compris ; or aucune armée, à part l’armée égyptienne, ne compte autant d’officiers que l’armée turque. Le nombre des muchirs, des généraux, des simples officiers est presque fabuleux. Il est vrai que leur solde est fort mal payée ; mais qu’importe ? elle n’en figure pas moins dans le budget, et les contribuables ne doivent pas moins en faire les frais. Elle est versée par le peuple et dilapidée par le gouvernement. Il est vrai aussi que les soldats sont déplorablement nourris et que, sauf la garde du sultan, toutes les troupes sont équipées d’une manière misérable ; mais c’est uniquement au gaspillage effréné qui règne dans les administrations turques qu’il faut attribuer les souffrances de l’armée. On aurait d’ailleurs une idée bien insuffisante de ce que coûte à la Turquie son état militaire si l’on se bornait à additionner la dépense des officiers et des soldats. Les préparatifs belliqueux qui ont été faits au moment où l’on croyait à la guerre avec la Grèce, ceux qui se font en ce moment dans la Tripolitaine, ont englouti et engloutissent des sommes énormes ; presque tous les revenus de l’empire sont employés aux dépenses du palais et du ministère de la guerre. Les autres branches des séances publics n’ont rien ou à peu près rien. Il ne reste plus une piastre pour les travaux publics et pour le développement de l’industrie nationale, en sorte qu’en dehors de l’agriculture, qu’on ruine par des impôts écrasans, mais qui, grâce à la fertilité du sol, n’en reste pas moins productive, il n’y a pas une seule source de revenus qui ne