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diplomatie néerlandaise suivait-elle avec une anxieuse attention les manifestations de la pensée prussienne ; elle appréhendait la revendication de ces deux places fortes, et elle craignait surtout que le Luxembourg ne donnât lieu à de sérieuses complications entre la France et l’Allemagne, dont elle aurait à subir les conséquences. Qui d’ailleurs pouvait répondre, que, maîtresse des événemens et à la poursuite des plus ambitieux desseins, la Prusse ne chercherait pas à envelopper la Hollande dans tout un réseau de conventions militaires, commerciales et maritimes ? Aussi, pour sauvegarder son indépendance, le cabinet de La Haye s’efforçait-il en toutes circonstances, avec l’énergie qu’inspire le danger, de constater et d’affirmer ses droits. Il s’appliquait surtout à bien démontrer au cabinet de Berlin, soit par des notes, soit par des communications verbales, qu’après la dissolution de la Confédération germanique, tous les liens qui rattachaient le Limbourg et le Luxembourg à l’Allemagne étaient virtuellement rompus. Mais M. de Bismarck ne s’expliquait pas, et son silence énigmatique ne faisait qu’accroître les inquiétudes du gouvernement néerlandais. Cependant, si ses intentions au sujet du Limbourg restaient impénétrables, bien des indices permettaient de croire que la question du Luxembourg avait été de longue date débattue entre la France et la Prusse. On avait constaté, en effet, non sans étonnement, qu’au moment où éclataient les hostilités en Allemagne, le gouvernement français ne prenait sur ses frontières aucune de ces précautions que commande la prudence, et que la Prusse, de son côté, dégarnissait le Rhin, réduisait la garnison de Luxembourg à quelques centaines d’hommes, emmenait ses batteries de campagne, retirait ses artilleurs et expédiait à Berlin jusqu’à des effets de campement et de casernement. L’abandon de la place à la France paraissait à peu près certain ; les officiers prussiens en parlaient librement, comme d’un sacrifice indispensable, en échange d’une neutralité qui permettait à la Prusse de jeter toutes ses forces sur l’Autriche. Mais on en était réduit à des conjectures et on se sentait « entre l’enclume et le marteau, » suivant l’expression de M. Servais, qui a écrit sur la question du Luxembourg, au point de vue hollandais, un livre fort instructif[1].

Le ministre des affaires étrangères, M. le comte de Zuylen, renouvela ses démarches[2]. Dans les grandes commotions qui menacent l’équilibre de l’Europe, l’habileté des états secondaires consiste à pressentir le plus fort et à se mettre en règle avec lui. Mais la diplomatie néerlandaise ne rencontrait à Berlin qu’un silence

  1. M. Servais, la Question du Luxembourg.
  2. Il était le cousin du baron de Zuylen, le ministre des Pays-Bas actuellement accrédité à Paris.